Postulat

Les évolutions de l’éclairage public apportées par les plans lumière, les LED, la télégestion et la prise en considération des besoins de la faune et la flore sont à saluer et à poursuivre. Cependant, la prise en considération de l’impact négatif de l’éclairage nocturne sur la santé publique est actuellement insuffisante, et la réglementation communale absente, motivant le présent postulat.

Après la réalisation d’un premier « Plan Lumière » constituant un schéma directeur de l’éclairage public pour la période 2014-2023, les services industriels de Lausanne doivent prochainement élaborer leur « Plan Lumière II » pour la période 2024-2030. Tandis que le premier « Plan Lumière » visait principalement à améliorer l’éclairage public des rues et mettre en valeur le patrimoine et les spécificités lausannoises (la trame verte, l’eau et le relief) ainsi qu’à permettre des économies d’énergie, il est annoncé que le « Plan Lumière II » vise à poursuivre avec les principes de l’éclairage actuel tout en limitant la pollution lumineuse pour mieux respecter la faune et la flore et développer des trames noires.1 Aussi, suite à un audit en 2019, un plan d’action a été établi afin de réduire la consommation d’énergie par l’éclairage public en développant la télégestion et en employant des luminaires de type LED. Les évolutions de l’éclairage public apportées par les plans lumière, les LED, la télégestion et la prise en considération des besoins de la faune et la flore sont à saluer et à poursuivre. Cependant, la prise en considération de l’impact négatif de l’éclairage nocturne sur la santé publique est actuellement insuffisante, et la réglementation communale absente, motivant le présent postulat qui vient en complément à celui déposé en avril 2021 par Mme Marie-Thérèse Sangra « Pour un éclairage public nocturne sans pollution lumineuse ».

Un des principaux effets négatifs de la lumière artificielle nocturne sur les humains (et la plupart des organismes vivants, y compris les plantes2) est la perturbation du rythme circadien, principalement en interférant avec la sécrétion de mélatonine, une hormone sécrétée en l’absence de lumière, essentielle dans la régulation de ce processus physiologique. La lumière à faible longueur d’onde, proche du spectre bleu de la lumière visible, affecte plus la sécrétion de mélatonine que la lumière à plus longue longueur d’onde, proche du spectre rouge de la lumière visible. Ceci est à relever puisque le développement des LED (Light-emitting diodes) dans l’éclairage public va souvent de pair avec une lumière plus froide, plus proche du spectre bleu de la lumière visible, avec donc un impact sur la santé des êtres vivants plus importants.3 Aussi, dans le premier « Plan Lumière » de la ville, il est précisé que des LED générant un blanc chaud (± 2500 à 3000 K4) seraient utilisés pour les quartiers de vie, tandis qu’un blanc froid (de ± 3500 K à ± 4000 K) serait utilisé pour éclairer des voies à forte circulation ainsi que les espaces verts.5

Il se trouve que l’éclairage public est une source majeure d’immission lumineuse dans l’intérieur des habitations contribuant aux effets néfastes de la lumière artificielle nocturne. Outre l’aspect subjectivement dérangeant de cette immission lumineuse, la recherche épidémiologique concernant les effets de la lumière artificielle nocturne s’est développée ces deux dernières décennies et tend à montrer une association entre l’exposition à la lumière artificielle nocturne – notamment celle provenant de l’extérieur des habitations – et les troubles du sommeil voire certains troubles mentaux dans la population en général6, et plus spécialement chez les jeunes7,8 et les personnes plus âgées9. La recherche suggère en outre que l’exposition de la lumière artificielle nocturne est associée à des troubles métaboliques (obésité, diabète), le cancer10, et pourrait affecter le système immunitaire et ainsi favoriser certaines pathologies11.

À Lausanne, de très nombreux logements souffrent d’une immission lumineuse excessive de nuit dû à l’éclairage public (cf illustrations dans l’annexe) et parfois dû à l’éclairage privé. Cela concerne en particulier les logements situés au rez et aux premiers étages. La configuration actuelle de l’éclairage favorise cette pollution lumineuse notamment car en de nombreux points, les luminaires sont suspendus relativement haut au-dessus des rues et les candélabres sont à une hauteur élevée également, favorisant un éclairage diffus. Aussi, le recours à des LED générant un blanc « froid » (3500-4000 K) n’est pas optimal en raison de la présence plus importante du spectre bleu de la lumière visible. Bien qu’il soit possible de se prémunir contre l’immission de lumière dans les habitations par divers dispositifs (stores non occultants, rideaux, volets), ceux-ci sont souvent insuffisants pour éviter cette nuisance lumineuse. Quant aux stores occultants (ou autres dispositifs occultants), ils ne représentent pas une solution adéquate car ils entravent la pénétration de la lumière naturelle à l’aube ce qui participe à la dérégulation du cycle circadien.

Plusieurs possibilités existent pour limiter les nuisances lumineuses, dont l’immission de lumière dans les habitations et son impact12, notamment :

  • limiter l’éclairage à celui strictement nécessaire
  • contrôler l’intensité de l’éclairage, notamment en fonction de l’heure du jour et de la nuit (y compris extinction pendant certaines heures de la nuit), ou par la détection de présence
  • contrôler la couleur de l’éclairage, en limitant la lumière du spectre bleu (ou lumière froide) et en favorisant la lumière du spectre rouge (lumière chaude)
    agir sur la hauteur, l’orientation des luminaires et utiliser des écrans protecteurs lorsque appropriés (permettant de canaliser la lumière)

Il convient encore de rappeler que selon le cadre légal fédéral, plus spécifiquement l’article 11 de la loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE), les émissions doivent être en premier lieu limitées par des « mesures prises à la source » (al.1), qu’« indépendamment des nuisances existantes, il importe, à titre préventif, de limiter les émissions dans la mesure que permettent l’état de la technique et les conditions d’exploitation et pour autant que cela soit économiquement supportable » (al. 2) et que « les émissions seront limitées plus sévèrement s’il appert ou s’il y a lieu de présumer que les atteintes, eu égard à la charge actuelle de l’environnement, seront nuisibles ou incommodantes » (al.3). Bien que la loi ne spécifie pas de valeurs d’émission ou d’immission lumineuse spécifiques, les connaissances sur l’impact délétère de la lumière artificielle nocturne doivent pousser la ville à agir pour limiter ce type de nuisance, conformément à la loi. Des méthodes de mesure et des valeurs indicatives sont référencées dans un document de recommandations pour la prévention des émissions lumineuses produit par l’office fédéral de l’environnement.7 Il est aussi intéressant de se pencher sur le cadre légal français, puisque récemment, en décembre 2018, un arrêté a apporté une réglementation poussée de l’éclairage provenant de toutes sources, y compris l’éclairage public. Cet arrêté spécifie notamment des heures auxquelles les éclairages doivent être éteints et à partir desquelles ils peuvent être allumés, ou précise encore que la température de couleur de l’éclairage public ne doit pas dépasser les 3000 K.13

Conclusions :
Le présent postulat invite la Municipalité à étudier l’opportunité:

  • d’évaluer systématiquement l’immission lumineuse dû à l’éclairage public sur les habitations de la commune et d’en réduire l’impact par toutes les mesures appropriées
  • d’intégrer dans le «Plan Lumière II», et dans sa planification de l’éclairage public au long cours, les aspects de santé publique en lien avec l’éclairage nocturne, en usant toutes les possibilités précitées pour limiter les nuisances lumineuses
  • d’intégrer lors de la prochaine révision du plan d’affectation communal (PACom) un règlement visant à limiter les nuisances lumineuses au sens large (sur la faune, la flore et l’humain). 

Références:

  1. https://www.lausanne.ch/vie-pratique/energies-et-eau/services-industriels/a-propos-sil/notre- engagement/efficacite-energetique/eclairage-public.html – consulté le 16.03.2023
  2. Agence nationale [française] de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – « Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des systèmes utilisant des diodes électroluminescentes (LED) » – Rapport d’expertise collective – Novembre 2018
  3. Walker, William H 2nd et al. “Light at night disrupts biological clocks, calendars, and immune function.” Seminars in immunopathology vol. 44,2 (2022): 165-173. doi:10.1007/s00281-021-00899-0
  4.  « Dans le domaine de l’éclairage, la température de couleur renseigne sur la teinte générale de la lumière que produit une lampe », « La température de couleur est donnée en kelvins (K) ». Source: https://www.energie-environnement.ch/definitions/208-temperature-de-couleur
  5. Brochure explicative « Plan Lumière de Lausanne » des Services industriels de Lausanne, téléchargeable à l’adresse : https://www.lausanne.ch/vie-pratique/energies-et-eau/services-industriels/a-propos-sil/notre-engagement/efficacite-energetique/eclairage-public.html
  6. Xu, Yu-Xiang et al. “Association between exposure to light at night (LAN) and sleep problems: A systematic review and meta-analysis of observational studies.” The Science of the total environment vol. 857,Pt 1 (2023): 159303. doi:10.1016/j.scitotenv.2022.159303
  7. Wang, Le-Bing et al. “Association Between Exposure to Outdoor Artificial Light at Night and Sleep Disorders Among Children in China.” JAMA network open vol. 5,5 e2213247. 2 May. 2022, doi:10.1001/jamanetworkopen.2022.13247
  8. Paksarian, Diana et al. “Association of Outdoor Artificial Light at Night With Mental Disorders and Sleep Patterns Among US Adolescents.” JAMA psychiatry vol. 77,12 (2020): 1266-1275. doi:10.1001/jamapsychiatry.2020.1935
  9. Hu, Kejia et al. “Association between outdoor artificial light at night and sleep duration among older adults in China: A cross-sectional study.” Environmental research vol. 212,Pt B (2022): 113343. doi:10.1016/j.envres.2022.113343
  10. Cao, Miao et al. “Understanding light pollution: Recent advances on its health threats and regulations.” Journal of environmental sciences (China) vol. 127 (2023): 589-602. doi:10.1016/j.jes.2022.06.020
  11. Walker, William H 2nd et al. “Light at night disrupts biological clocks, calendars, and immune function.” Seminars in immunopathology vol. 44,2 (2022): 165-173. doi:10.1007/s00281-021- 00899-0
  12. Recommandations pour la prévention des émissions lumineuses – 1re édition actualisée 2021, première édition 2005 © OFEV 2021 – disponible en PDF à cette adresse : www.bafu.admin.ch/uv-2117-f
  13. Arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses. Version en vigueur au 20 mars 2023. Consultable à l’adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037864346