Motion

La publicité des débats et séances du Grand conseil est un principe essentiel pour notre démocratie. Protégée notamment par l’art. 10 CEDH, elle constitue un droit fondamental qui est également exprimé à l’art. 96 de la Constitution vaudoise (« Cst-VD ») et repris à l’art. 141 de la Loi sur le grand conseil (« LGC »), avec une attention particulière accordée aux médias dans le contexte plus large de cette transparence (art. 142 LGC).

Ce principe connaît toutefois des exceptions lorsqu’un intérêt prépondérant impose de limiter cette transparence. Tel est d’abord le cas pour les travaux de commission, qui sont dans l’ensemble soumis à confidentialité et intégrés au secret de fonction, afin d’offrir à chaque commissionnaire la liberté nécessaire pour s’exprimer en lien avec l’objet considéré. Ensuite, une exception importante à la publicité des débats du Grand conseil lui-même découle de la règle du huis clos qui peut être décidé par l’organe législatif si la protection d’intérêts majeurs de l’Etat ou des motifs inhérents à la protection de la personnalité l’exigent (art. 143 al. 1 première phrase LGC). Cette règle s’applique même d’office pour les élections des membres de la Commission de présentation, des juges et juges suppléants du Tribunal cantonal, du procureur général et des membres de la Cour des comptes (art. 143 al. 2 deuxième phrase LGC). Le 1er janvier 2023, cette seconde phrase sera modifiée pour s’appliquer également aux Procureurs généraux adjoints ainsi qu’aux membres du Conseil de la magistrature.

Cette exception légale de l’art. 143 al. 2 deuxième phrase LGC constitue une spécificité vaudoise, dans la mesure où les autres droits cantonaux ainsi que le droit fédéral relatif aux débats de l’Assemblée fédérale (art. 4 de la Loi sur le parlement [« LParl »]) ne prévoient pas de huis clos automatique pour l’élection[1], seuls certains cas de révocation y étant parfois automatiquement soumis[2]. Le huis clos ne s’applique ainsi par principe pas à ces élections, notamment et y compris pour la fonction de procureur général[3].

A la suite de ce dernier point, et s’agissant spécifiquement de l’élection à la fonction de procureur général et à celle d’adjoint, la règle du huis-clos automatique de l’art. 143 al. 2 LGC ne peut être vue comme compatible avec le principe fondamental de la publicité des débats du Grand conseil. Acteur de la justice pénale, le Ministère public – et la fonction de procureur général particulièrement – ne font pas partie de l’Ordre judiciaire, mais constituent bien une entité de l’administration cantonale vaudoise rattachée au Conseil d’État[4]. Quelque chose qui ne sera pas affecté par l’entrée en fonction du Conseil de la magistrature. Cette absence de rattachement à l’Ordre judiciaire s’explique par le fait que – indépendamment des quelques compétences de décision qui lui reviennent en application des principes relatifs à l’ordonnance pénale – le Ministère public est le représentant de l’Etat dans le procès pénal. Il a pour charge de faire valoir, devant le Tribunal, l’intérêt et les positions de l’Etat à l’encontre du prévenu. Un rôle qui implique tout un volet d’appréciation et de marge de manœuvre. La fonction de procureur général et celle de ses deux adjoints sont elles-mêmes spécifiques et se trouvent souvent dans la lumière des débats et décident de l’approche pénale qui est suivie au niveau de l’Etat. Ainsi, et à titre d’exemple, ils disposent de la possibilité de créer des unités spéciales (p. ex l’unité Strava) ainsi que de mettre en place des formations spécifiques pour les procureurs d’arrondissement.

Compte tenu du rôle central du Ministère public pour la politique pénale du Canton, non pas sous l’angle de la justice mais de l’approche pénale poursuivie, il est évident que les fonctions de procureur général et de procureurs adjoints se doivent d’être appréciées et considérées publiquement. Sans aller aussi loin que certains cantons qui confient au peuple l’élection d’une personne à ces fonctions[5], il convient en tout cas de faire preuve de transparence à l’égard du peuple et d’assurer que – sauf circonstances exceptionnelles – l’élection à la fonction de procureur général et de procureur adjoint se fasse d’une façon assurant la publicité des débats. Permettant également ainsi d’éviter la situation où, en présence d’une seule candidature, la personne n’ait finalement pas à présenter ses objectifs et ses intentions publiquement, et que le vote du Grand conseil soit réduit à un simple vote à l’aveugle. Privant la population de tout regard et connaissance sur ce volet pourtant central.

A ce titre, les signataires demandent au Conseil d’Etat une modification de la LGC (dans sa version entrant en vigueur au 1er janvier 2023) par la suppression de la référence au « procureur général » et aux « Procureurs généraux adjoints » à l’art. 143 al. 2 LGC.

[1] Voir d’ailleurs la référence à cette spécificité dans le contexte de l’élection du Procureur général du Canton du Valais ; https://www.lenouvelliste.ch/valais/election-du-procureur-le-huis-clos-nest-pas-une-specialite-valaisanne-1072728.

[2] Voir par exemple l’art. 27 de la Loi valaisanne sur le Conseil de la magistrature ; pour une analyse générale, voir Alfio Russo, Les modes de désignation des juges, thèse Neuchâtel 2020, § 364.

[3] Au niveau de la Confédération, voir par exemple les débats ayant entouré la réélection du procureur général Michael Lauber en 2019 (https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=47368).

[4] Voir notamment EMPL sur le Conseil de la magistrature, 21_LEG_92, p. 9. Également la liste exhaustive des autorités intégrant l’Ordre judiciaire vaudois donnée à l’art. 2 de la Loi d’organisation judiciaire, qui ne fait pas référence au Ministère public.

[5] Voir par exemple le Canton de Genève ; art. 122 de la Constitution de la République et canton de Genève.