Postulat

« Nous ne changerons pas nos comportements si nous ne changeons pas la mesure de nos performances. » Ces mots ne sont pas ceux d’un manuel d’écologie militante, mais ceux de l’ancien Président de la République française Nicolas Sarkozy (Présentation des conclusions du rapport de la Commission de mesure de la performance économique et du progrès social, présidée par le professeur Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, à Paris le 14 septembre 2009).

La pandémie à laquelle nous sommes confrontés démontre, d’une part, la fragilité de l’économie mondialisée fonctionnant à flux tendus, et d’autre part, les limites d’un indicateur tel que le produit intérieur brut (PIB), qui demeure l’alpha et l’oméga de la comptabilité nationale ou cantonale.

Le PIB est un pur indicateur de croissance quantitative. Il tient compte uniquement de l’activité économique pure et non des réalités sociales ou environnementales, notamment. Pour illustrer les faiblesses de l’instrument, on peut pousser la démonstration à l’absurde: l’augmentation des conflits armés fait marcher l’industrie de l’armement, les accidents de la route sollicitent le système hospitalier et dynamisent l’économie des voitures, les conflits familiaux fournissent du travail aux avocats: autant de cas où le PIB serait “augmenté” par des évènements incontestablement négatifs dans la perspective du bien-être d’une société.

La science économique a de longue date critiqué l’indicateur du PIB en soulignant les limites d’un tel outil et tenté de proposé des alternatives. Dans une tribune dans Le Monde au printemps dernier, économistes et philosophes rappelaient opportunément qu’une « croissance du PIB par habitant de 2% par an signifierait que nos descendants auraient en 2100 cinq fois plus de biens à consommer, 35 fois plus en 2200 ». Une absurdité qui ne dit rien de la qualité de cette vie future.

Rares sont les Etats qui ont franchi le pas et revu les indicateurs économiques sur lesquels sont fondées leurs politiques. Le Bhoutan est l’une des exceptions les plus célèbres : il a renoncé au PIB et ancré dans sa Constitution un indicateur mesurant le niveau de prospérité en des termes plus globaux : le « Bonheur national brut ». Au plan international, les Nations Unies ont depuis de nombreuses années pris l’habitude de mesure le « développement » des Etats avec l’Indice de développement humain (IDH), qui tient compte, aux côtés du PIB, de l’espérance de vie et du niveau d’éducation des enfants. Ce critère ne tient toutefois pas compte des réalités environnementales. Les indicateurs utilisés dans le cadre des objectifs du développement durable sont également intéressants. Plus récemment, l’économiste britannique Kate Raworth a élaboré le modèle dit du Dounut (« beignet »), lequel vise à déterminer une prospérité « idéale » dans les limites de ce que la planète est capable de supporter et dans le respect des besoins sociaux minimaux. Tout récemment, la France a pour la première fois de son histoire réalisé un « budget vert 2021 », lequel indique les dépenses publiques favorables ou défavorables à l’environnement.

Le canton de Vaud n’échappe pas à cette focale très réductrice du PIB. Une simple visite sur le site de Statistique Vaud, par ailleurs très bien fourni et remarquablement complet, révèle que les indicateurs phares restent marqués par cette vision purement quantitative de la performance économique. De même, l’Observatoire de l’économie vaudoise, piloté par la BCV en coopération avec l’UNIL et l’Etat de Vaud, met principalement en avant le PIB dans sa communication et ses analyses. Toute l’économie vaudoise se fonde sur ces données pour fonctionner, ce qui révèle toute l’importance de ces indicateurs.

Un changement de cap dans la manière de mesurer la prospérité vaudoise est d’autant plus nécessaire que la crise et “l’après-crise” COVID auront bouleversé les équilibres dans notre canton. Si la relance après la crise est pensée uniquement en termes de PIB, les autres aspects fondamentaux de notre vivre ensemble, seront négligés, à commencer par la sauvegarde de la biosphère et de notre climat – conditions de la vie sur terre – et d’une prospérité pacifique et “heureuse”.

Par le présent postulat, les soussignés demandent au Conseil d’Etat de réorienter et compléter, dans tous les domaines relevant de sa compétence, la mesure de la prospérité vaudoise à l’aune de critères et d’indicateurs tenant mieux compte du bien-être collectif (aspects sociaux, état de l’environnement, etc.) et de rédiger un rapport sur les actions entreprises. En particulier, il est demandé de rédiger un rapport complet sur les mesures prises ou à prendre dans les domaines suivants:

– Réorienter le mandat et la conduite du l’Observatoire de l’économie vaudoise, conjointement avec les partenaires (BCV et UNIL), vers une analyse plus globale de la prospérité vaudoise tenant compte de l’état de l’environnement et des autres facteurs de bien-être social.

– Réorienter le mandat et la conduite de Statistique Vaud vers une analyse plus globale de la prospérité vaudoise tenant compte de l’état de l’environnement et des autres facteurs de bien-être social.

– Intégrer dans tout le processus de construction budgétaire de l’Etat de Vaud des indicateurs plus globaux sur l’état de la prospérité vaudoise que la seule mesure de la croissance économique et des prévisions fiscales correspondantes, au besoin en s’inspirant de ce qui se pratique ailleurs comme en France avec le « budget vert 2021 ».

– Réaliser une étude de l’économie vaudoise selon le modèle du Donut permettant de considérer la performance de l’économie à l’aune des limites planétaires et des besoins sociaux humains.

– Intégrer dans toutes les politiques de « relance » et de « sortie de la crise du covid » des indicateurs dépassant la seule question de la croissance quantitative du PIB.