Postulat

Le rucher vaudois dans la tourmente : de nouveaux moyens pour le suivi et le contrôle, dare-dare !

La nouvelle a été annoncée en décembre 2017 : le 20 mai sera désormais appelé « Journée mondiale de l’abeille » sur décision de l’Organisation des Nations Unies (ONU).
L’occasion de rappeler que près d’un tiers de la production de nourriture à l’échelle mondiale dépend directement de l’activité des pollinisateurs tels que les abeilles. Ces dernières jouent un rôle fondamental: à travers la pollinisation des plantes, elles contribuent à une certaine biodiversité de la flore et favorisent la production agricole qui assure la sécurité alimentaire. Sans oublier la haute valeur ajoutée des produits apicoles que sont le miel, la gelée royale, la cire, la propolis ou encore le venin.
En 2010 déjà, la députée Claudine Dind déposait une interpellation devant notre Grand Conseil, intitulée « Quelle stratégie pour tenter d’enrayer la disparition des abeilles dans notre canton ? ».
Dans sa réponse, le Conseil d’Etat relevait, fataliste et résigné, que « Notre canton ne dispose ni des ressources matérielles, ni des compétences scientifiques nécessaires pour réaliser de sérieuses investigations sur les causes de l’effondrement des colonies d’abeilles au niveau de son territoire ».
En juin 2012, la députée Aliette Rey-Marion revenait sur le sujet en déposant un postulat intitulé « Biodiversité : les abeilles en sont aussi les garantes » à la suite, notamment, de nouvelles lourdes pertes du rucher vaudois à la sortie de la saison d’hiver.
Conséquence directe de ce postulat, le Grand Conseil adoptait à l’unanimité, en février 2014, la Loi d’application de l’ordonnance fédérale sur l’aide au Service sanitaire apicole (SSA). Une loi qui pérennise une subvention cantonale au SSA de CHF 30’000 par année en vue de promouvoir la santé des abeilles via la formation, la prévention et les traitements.
Dans son rapport, le Conseil d’Etat relevait notamment que « Le Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV) est l’autorité cantonale en matière de lutte contre les épizooties, y compris pour les maladies et parasites des abeilles, disposant à cette fin d’un inspectorat des ruchers qui est en contact étroit avec les apiculteurs et leurs sections ». Et le Conseil d’Etat d’ajouter « Avec l’adoption de la nouvelle loi d’application, le SCAV pourra collaborer avec le SSA ce qui favorisera une meilleure coopération entre l’autorité et les apiculteurs. Par cette coopération, la problématique de la santé des abeilles et de l’effondrement des colonies sera traitée beaucoup plus efficacement ».
Aujourd’hui, au printemps 2018, qu’en est-il de cette volonté politique affichée en 2014 de se donner quelques – modestes – moyens complémentaires pour se porter au secours urgent du rucher vaudois et de nos apicultrices et apiculteurs ?
Certes, on a appris dernièrement qu’un important programme intercantonal (sur 6 ans, Vaud-Jura-Jura bernois) de mesures pour étudier l’impact de mesures agricoles sur l’existence des pollinisateurs va démarrer cette année sous l’égide vaudoise du Service de l’agriculture et de la viticulture (SAVI) ainsi que de l’Association vaudoise de promotion des métiers de la terre « Prométerre », programme financé à 85% par l’Office fédéral de l’agriculture. C’est déjà une raison d’espérer, songeant à l’importance d’un nouveau dialogue entre agriculteurs, apiculteurs et scientifiques, entre modes de culture respectueux de l’environnement et survie des abeilles, indispensables pollinisatrices.
On apprend également que pour les apiculteurs affiliés à la Fédération Vaudoise des Sociétés d’Apiculture (FVA) – qui chapeaute les 18 sociétés régionales d’apiculture de notre canton – la transmission des informations paraît bien établie, notamment au moyen des rencontres, des visites de ruchers, du journal de la Société Romande d’Apiculture (SAR) et des conseillers apicoles et des moniteurs-éleveurs de la FVA, ainsi que des formations continues proposées par la FVA et le SSA.
Hélas, les apiculteurs n’ont aucune obligation d’adhérer à une société apicole et de participer à des activités de formation / d’information, ce qui paraît primordial à l’heure où la pratique de l’apiculture évolue et tente de s’adapter continuellement aux menaces phytosanitaires et aux nouvelles menaces (petit coléoptère de la ruche, frelon asiatique, traitements phytosanitaires, etc…), suivant les résultats des recherches et leurs avancées.
Il faut déplorer le fait que notre canton compte toujours des apiculteurs qui passent de facto à côté de nombreuses informations qui leur permettraient de se mettre à la page et de participer activement à la lutte contre les problèmes épidémiologiques des ruchers (transmission des maladies des abeilles et présence de parasites et de ravageurs).
Il faut encore savoir que les produits vétérinaires recommandés en Suisse par le Centre de Recherches Apicoles de Liebefeld (CRA) sont essentiellement des acides organiques alors que les substances synthétiques persistantes (produits pharmacologiques) – que l’on peut trouver sur le marché, autorisées mais non recommandées par le CRA – sont susceptibles de développer une résistance aux traitements et ont la fâcheuse tendance à s’accumuler dans la cire d’abeille.
Ainsi, des listes de produits recommandés sont mises à jour sur le site du Service sanitaire apicole (SSA) suisse, références rappelées dans les publications du SAR. A condition, toutefois, que les apiculteurs non affiliés à une société et qui ne participent donc pas aux activités, échanges et autres rencontres ne passent pas à côté de ces informations…
Relevons, pour exemple d’une pratique urgemment perfectible, celle des cires gaufrées qui sont fixées sur les cadres à l’intérieur de la ruche : il apparaît que le trafic de cire contaminée vendue en commerce apicole est hélas, en l’état, difficilement contrôlable.
Il est avéré que la cire vendue en commerce apicole peut, selon sa provenance (Asie, Europe, Afrique), être frelaté et contenir de la paraffine ou de la stéarine qui sont toxiques pour le développement des larves. Elle peut également être contaminée par divers produits acaricides ou insecticides dont certains interdits d’utilisation en Suisse¹. La cire indigène, et plus particulièrement la cire d’un même rucher sans intrant, peut être revalorisée par une récupération, une désinfection ainsi qu’une réutilisation sur place, en circuit fermé mieux contrôlé. Hélas, nous ne connaissons pas, faute de moyens de contrôles, la proportion de cire non suisse qui est vendue à nos apiculteurs. Sans doute, une mesure élémentaire à prendre serait de recommander un prix correct pour la cire indigène…
De même, la nourriture « d’appoint » qui est distribuée aux abeilles à certains moments-clé du développement de leurs colonies, tel le « candi au miel », pourrait contenir des spores de loques. Quant aux sirops apicoles, fabriqués à partir des betteraves suisses et allemandes, ils pourraient contenir des traces de néonicotinoïdes.
Là aussi, de concert avec les instances fédérales, le SCAV, s’il en avait les moyens, devrait exiger davantage d’analyses et de contrôles (comme cela se fait dans le canton de Fribourg lors du contrôle de production primaire avec l’analyse des cires) et assurer une meilleure formation / information / vulgarisation de terrain via la Fédération Vaudoise des Sociétés d’Apiculture (FVA) et ses organes.
Tout indique que le vétérinaire cantonal du SCAV n’a pas assez de moyens humains et financiers pour répondre à l’ensemble des problèmes qui touchent de plein fouet le rucher vaudois depuis une dizaine d’années. Les inspecteurs apicoles, dans les différents secteurs de notre canton, sont des miliciens qui travaillent pour la plupart à temps partiel et qui ne sont que modestement défrayés pour leur travail auprès des apiculteurs.
En plus du travail d’inspectorat courant, des contrôles de « production primaire » ont été introduits, qui visent l’inspection entière de chaque apiculteur tous les 4 à 8 ans ; une tâche particulièrement chronophage qui mériterait largement des forces et des formations supplémentaires. C’est sans doute ce qui fait que la relève est difficile à trouver, au détriment, à n’en point douter, de l’indispensable mission de contrôle et de coordination de l’activité apicole, dans notre canton.
Des constats ci-dessus et de l’évolution toujours inquiétante de l’apiculture dans notre canton, je demande au Conseil d’Etat

  1. de fournir un rapport complet sur la situation de l’apiculture dans notre canton, 4 ans après l’entrée en vigueur de la Loi d’application de l’ordonnance sur l’aide au Service sanitaire apicole (SSA). Et subséquemment, de publier les analyses qui sont tirées du formulaire B2 adressé annuellement aux quelque 1000 apiculteurs recensés dans notre canton ?
  2. d’étudier la possibilité de rendre obligatoire l’inscription de tous les apiculteurs à une société d’apiculture locale, vu que l’Etat délègue une bonne partie de la formation des apiculteurs à la Fédération Vaudoise des Sociétés d’Apiculture (FVA). Ce qui permettrait que le très bon travail d’information et de formation continue effectué par la FVA, le SSA et la SAR touche l’ensemble des apiculteurs et apicultrices ;
  3. d’étudier la possibilité de donner de nouveaux moyens humains et financiers au Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV) afin de répondre efficacement aux besoins essentiels de contrôle et de coordination. Afin également de pouvoir indemniser de manière plus attractive l’inspectorat apicole et permettre à certaines personnes de considérer cette activité comme un revenu annexe ;
  4. d’étudier la possibilité de renforcer les moyens accordés au chimiste cantonal pour permettre les analyses des marchandises apicoles utilisées par l’apiculture et mises sur le marché. Par exemple, l’analyse des cires et l’établissement de directives pour les transformateurs de cire d’abeille, la traçabilité des lots, la publication des résultats des analyses (contamination par les pesticides, acaricides, cires synthétiques), l’analyse des produits de nourrissement vendus en commerce apicole ainsi que l’analyse des traitements contre le varroa vendus aux apiculteurs, avec à chaque fois une large publication des résultats.

 
Jean-Marc Nicolet
¹ Différentes références dont Ritter Ruedi (SSA) in Revue Suisse d’Apiculture no1-2 2017