Postulat

Dans sa
réponse à l’interpellation « Qui a peur des ECR ? »
(18_INT_170,
novembre 2018)1,
le Conseil d’Etat rappelle les objectifs2
poursuivis et considère que les ECR « constituent
des balises ponctuelles qui peuvent aider les différents acteurs
concernés à faire le point à quelques moments clés du parcours
d’apprentissage de l’élève ».
Il
est aussi rappelé que « des statistiques cantonales »
sont établies, et mises à disposition de chaque direction
d’établissement annuellement. Or d’une part, on comprend que des
« clés d’analyse » sont « en cours de
préparation » pour pouvoir tirer profit de cette masse
d’informations, ce qui est un peu surprenant 8 ans après son
élaboration (juin 2011). D’autre part, il n’est rien dit de ce
que le département et les différents niveaux de la hiérarchie
scolaire font de ces statistiques. Enfin, en termes d’évaluation
des politiques publiques (cf. art. 13.2 LEO : « Le
Conseil d’Etat rend compte régulièrement au Grand Conseil du
fonctionnement du système scolaire.
 »),
il n’est rien dit concernant la mise en place d’outils censés
évaluer la capacité des ECR à atteindre les objectifs qui leur
sont assignés dans la LEO.

Ces
épreuves sont pourtant le fruit d’un travail important effectué
par les professionnels. Elles sont une occasion de multiplier les
échanges d’expériences. Des collaborations entre enseignants de
différents établissements se développent pour produire ces
épreuves. A l’instar du concept « Vision à 360° »,
ces démarches sont de nature à renforcer le dialogue entre les
différents acteurs du système et s’inscrivent dans un processus,
à notre sens pertinent, de renforcement de l’autonomie et des
responsabilités des établissements. Ainsi, au niveau cantonal, il
nous semblerait intéressant de valoriser les ressources existantes
(statistiques, URSP, retour du terrain, …) pour dresser un
bilan complet

de ces épreuves, afin de démontrer véritablement en quoi les ECR
permettent de « réguler l’action des acteurs
concernés », ou pourquoi elles sont « un outil utile au
pilotage du système » (cf. Réponse du Conseil d’Etat à
l’interpellation mentionnée ci-dessus).

Au
niveau des élèves, des préparations spécifiques sont mises en
place en classe, ce qui leur permet de revoir certaines notions
fondamentales et de renforcer l’acquisition de certaines
connaissances et compétences. Les
vacances scolaires sont parfois l’occasion pour certains de revoir
leur programme de maths, de français ou d’allemand en s’appuyant
sur les épreuves à blanc proposés sur les sites web. Certains
élèves se voient prodigués des « cours de suivi », des
« stages de révision » ou de véritables « camps
de préparation », proposés par diverses entreprises, qui vont
jusqu’à garantir
« une brillante réussite des ECR»3.
Certaines familles sont prêtes à débourser des milliers de francs
pour atteindre cet objectif. D’autres s’appuieront sur
l’enseignement dispensé en classe, ou sur la passation  » à
blanc  » d’une ou deux ECR. Les élèves ne bénéficient donc
pas tous de la même préparation. Aussi, en regard des buts de
l’école et singulièrement celui de « viser l’égalité
des chances » (cf. art. 5.2 LEO), il serait cohérent qu’une
analyse des conséquences de cette emphase sur les ECR soit
questionnée.

Ces inégalités, tant dans la
préparation que la passation des ECR, sont une réalité qui pose un
problème supplémentaire lors des
épreuves de huitième année, qui comptent pour 30% dans
la moyenne des trois branches examinées. On peut en effet se
demander si la pondération retenue n’est pas de nature à biaiser
le regard que l’on porte sur ces épreuves, et partant, à nourrir
une forme d’agitation et de stress inutiles. L’inscription de ce
taux de 30% dans la loi a été voulue par une majorité du Parlement
lors des débats sur la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO)4.
Elle pouvait se comprendre au moment de nouer un compromis pour
sortir de la crise générée par la précédente réforme, EVM.
Cependant, avec le recul et dans le contexte actuel, on peut penser,
comme le suggérait alors le Conseil d’Etat, qu’il aurait été
préférable d’inscrire cette pondération dans le Règlement
d’application, pour offrir une plus grande souplesse dans sa
fixation.

Dans
tous les cas,
la passation de ces épreuves de huitième année met une pression
forte sur tous les acteurs du système scolaire (élèves, parents et
enseignants), les tensions des uns alimentant celles des autres… En
effet, alors qu’en théorie, ces épreuves ne devraient pas
demander de travail de préparation spécifique, ces évaluations
absorbent une énergie et un temps importants : d’une part,
elles conditionnent l’enseignement en le centrant sur la
préparation des ECR plutôt que sur la progression des
apprentissages des élèves et la maîtrise des objectifs :
bref, on « bachote ». D’autre part, ces tensions
sont parfois amplifiées par des comportements ou des approches
inadéquates de certains parents, qui ont des attentes exagérément
fortes en termes de performance scolaire à court terme. Tout ceci
plaide pour une sérieuse reconsidération de la place donnée aux
ECR dans le
processus d’orientation vers la VG ou la VP.

Dans sa
réponse à l’interpellation « 18_INT_170 », le Conseil
d’Etat rappelle que « les
ECR ne s’inscrivent nullement dans une logique de contrôle mais
bien dans une logique d’amélioration continue de l’école
 ».
Elles ont du reste été conçues comme des jalons à certains
moments clés de la scolarité : par exemple celles
de 4ème
pour s’assurer d’une maîtrise suffisante de la lecture avant
d’aborder la suite de la scolarité, ou celles de 10ème
pour enrichir l’information au moment où l’approche du monde
professionnel doit être envisagée. Or les épreuves de fin de 4ème
année par exemple, ne sont pas prises en considération dans la
moyenne et n’ont donc qu’un statut indicatif, alors que les
épreuves de 6ème
et 10ème
année valent une note significative. Le statut et la pondération de
chacune de ces épreuves sont d’ailleurs répartis dans la loi, le
règlement et le cadre général d’évaluation (CGE- plus de 50
pages !).

L’extrême
sophistication de notre système d’évaluation, dont il serait
intéressant de savoir s’il a un équivalent dans un autre canton,
interpelle également. Surtout si en fin de compte, comme l’écrit
le Conseil d’Etat, les résultats des élèves aux ECR ne font
que : « refléter
de manière générale ceux qu’ils obtiennent dans les évaluations
tout au long de l’année dans leur classe
 ».
En d’autres termes, les bons réussissent et les élèves moins
performants échouent. Enfin, ces épreuves viennent s’ajouter aux
épreuves internationales, comme PISA, et pourraient être complétées
par des tests de référence prévus par l’accord intercantonal
Harmos (article 8, alinéa 4), ou par des épreuves communes prévues
par l’article 15 de la Convention scolaire romande, bien que la
cheffe du département ait annoncé sa volonté de ne pas prévoir
d’épreuve supplémentaire à ce stade.
En bref : l’Ecole vaudoise, ses enseignant-e-s et ses élèves
ont-ils besoin d’un tel arsenal pour atteindre les buts de la LEO,
et ne serait-il pas temps d’y mettre bon ordre ?

Compte
tenu de l’ensemble de ces éléments, nous souhaitons que le
Conseil d’Etat fournisse un rapport qui renseigne le Grand Conseil
sur les trois points développés ci-dessus, soit :

  1. Un bilan qui démontre en quoi les ECR permettent de « réguler l’action des acteurs concernés », en quoi elles sont « un outil utile au pilotage du système scolaire », et qui explicite le rôle complémentaire des différentes ressources existantes (statistiques, directeurs d’établissement, enseignants, parents, élèves, enseignants spécialisés, psychologues, logopédistes, …), en cohérence avec le concept 360° et l’autonomisation des établissements ;
  2. Une analyse générale de la manière dont les élèves vivent ces épreuves cantonales de référence, notamment les éventuels effets sur leur santé et sur le but de l’égalité des chances inscrit dans la LEO ; et en particulier, une analyse du bien-fondé et des effets produits par la pondération de 30% inscrite à l’article 88, alinéa 2 de la LEO ; et, partant, envisager l’hypothèse qu’aurait une réduction de ce taux ;
  3. Dans le cadre de l’évaluation de la LEO dont la cheffe du DFJC a dit qu’elle était en cours, prendre un peu de recul pour se demander si le système vaudois d’évaluation du travail des élèves ne mérite pas d’être allégé, simplifié. A tout le moins, on peut se demander si, à court terme, il n’est pas nécessaire que le Département ajuste l’élaboration et la communication autour des ECR « pour qu’il n’y ait vraiment pas ou plus de raison d’en avoir peur ».

Vassilis Venizelos

1 http://www.publidoc.vd.ch/guestDownload/direct/Texte%20adopt%C3%A9%20par%20CE.pdf?path=/Company%20Home/VD/CHANC/SIEL/antilope/objet/CEGC/R%C3%A9ponse%20du%20CE/2018/08/658556_18_INT_170_Texte%20adopt%C3%A9%20par%20CE_20181108_1398804.pdf

2 Les buts des ECR définis dans la LEO et dans le cadre général de l’évaluation (CGE) sont rappelés dans la réponse à l’interpellation « 18_INT_170 »:

  • harmoniser
    les exigences de l’enseignement dans le canton en vue d’assurer
    une égalité de traitement entre les élèves ;
  • contribuer
    à la qualité du système scolaire ;
  • mettre
    à la disposition des enseignants des repères extérieurs à
    la classe permettant de situer la progression des élèves selon
    les objectifs d’apprentissage du plan d’études.

3
https://www.vaudfamille.ch/N1012044/francais-cours-d-appuis-et-revisions-scolaires-ecr.html

4
L’amendement
C. Chevalley avait été accepté par 57
voix contre 34 et 25 abstentions (31 mai 2011)