Actes Verts n°58 – juin 2020

Mes chères membres Vertes vaudoises et Verts vaudois,

Il m’est demandé de vous faire part de mes impressions générales à l’issue de cette période parlementaire agitée, depuis la session extraordinaire de mai exclusivement consacrée à la crise sanitaire jusqu’à celle de juin qui vient de s’achever. Parmi les innombrables constatations, impressions et réflexions qui y sont liées, j’ai choisi de vous présenter trois aspects particuliers :

  • les impacts de la crise sanitaire sur l’agenda et le travail parlementaire,
  • le lien entre science et politique tel que je le perçois aujourd’hui de l’intérieur,
  • le rapport de force inégalitaire et ses conséquences en terme de réponse politique à l’urgence écologique.

Les impacts de la crise sanitaire sur l’agenda et le travail parlementaire

Comprendre quels sont les impacts de la crise sanitaire sur le travail parlementaire implique de pouvoir les distinguer de ce qui constitue habituellement ce travail. Or, comme tous les nouveaux et nouvelles élu·e·s, les trois mois d’expérience au sein de cette législature ne pesaient pas bien lourds lorsque la session de mars a été suspendue, l’état d’urgence prononcé et le travail législatif brutalement interrompu. Après une semaine de stupeur et de «chômage technique», le temps pour le bureau du conseil national et pour les groupes parlementaires de reprendre leurs esprits et de mettre en place les fameuses visio-conférences qui sont depuis devenues la norme pour bon nombre d’entre nous, a commencé une période que je qualifierais de «chaotique». Les demandes affluaient de toutes parts alors que l’agenda était totalement bouleversé. Les séances de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC) dont je suis membre ont repris en accéléré et exclusivement consacrées au traitement des nombreuses questions soulevées, en particulier par l’école à la maison, le creusement de l’inégalité des chances, le soutien au secteur de l’accueil de la petite enfance, les mesures facilitatrices de recherche d’un vaccin et les conséquences économiques du confinement sur le monde de la culture dont les acteurs sont encore aujourd’hui rudement touchés. La session extraordinaire de mai a été elle aussi dédiée dans sa totalité au traitement de la crise COVID. Il s’agissait avant tout de valider les décisions prises par le gouvernement tant dans le domaine sanitaire que financier.

Ainsi il n’a été possible de reprendre les objets suspendus depuis le mois de mars que durant la session de juin. Malgré des horaires très denses, le retard dans le traitement des dossiers à l’issue de cette session est estimé à environ 30 heures de débat. Il sera par conséquent nécessaire de densifier encore davantage le programme de la session d’automne notamment avec trois séances de nuit les lundis jusqu’à 22h. Il est également prévu d’organiser une deuxième session spéciale fin octobre.

Malgré tout cela, le traitement ordinaire des dossiers en commission doit aller de l’avant. La CSEC a la responsabilité d’examiner le programme de politique culturelle, ainsi que de formation, recherche et innovation pour la législature, alors même que les enjeux qui y sont liés ont été amplifiés par la crise sanitaire (numérisation accélérée de la société, formation continue et réinsertion professionnelle, risque de restriction budgétaire, etc.). La multiplicité des dossiers et l’accélération du rythme de leur traitement, qui mettaient déjà à rude épreuve les capacités d’un·e parlementaire même chevronné·e se sont trouvées encore accrues par la crise sanitaire et ses conséquences. Bref, comme pour n’importe quelle profession, le rythme et la densité de travail ont été intensifiés. Mais parlementaire est-elle une profession à part entière au sein de notre système qualifié de «milice» ? En temps normal, on estime à 10-15% le temps restant pour exercer nos éventuelles professions parallèles alors qu’il paraît évident que les compétences spécifiques requises par nos fonctions impliquent une professionnalisation, d’autant plus depuis la crise sanitaire.

Urgence écologique et «Politique des petits pas»

Me concernant, il n’y a cependant pas de doute, je suis bien une politicienne de milice car mon identité première est celle de scientifique, climatologue plus précisément. Qu’est-ce que cela implique ? Que je suis hautement consciente de la précarité de notre situation, en tant qu’espèce au sein de notre système Terre ; que la réalité de l’urgence écologique, dont le réchauffement climatique n’est malheureusement qu’un des nombreux défis planétaires auxquels nous sommes désormais confrontés, réclame des mesures sans précédent, une révolution idéologique, à l’échelle mondiale et tout cela durant cette décennie que nous venons d’entamer. C’est d’ailleurs cette conscience de l’urgence qui m’a amené à m’investir en politique en 2018, alors qu’un sentiment d’impuissance m’envahissait, comme bon nombre de mes pairs au sein de la communauté scientifique, et que les réponses institutionnelles restaient bien en deçà des enjeux. C’est sans aucun doute à cette caractéristique que je dois mon élection en novembre dernier me donnant l’opportunité inespérée de raccourcir la distance entre approche scientifique du monde et interprétation politique.

Après bientôt sept mois d’activité au sein du parlement, suis-je rassurée sur la capacité du politique à répondre suffisamment vite et fort à ces défis ? Je dois bien confesser que non. Au contraire, alors même que je ne me faisais pas beaucoup d’illusions, ma méconnaissance des rouages du pouvoir depuis l’intérieur me permettait encore d’espérer une évolution rapide, espérance qui a tôt eu fait d’être balayée par les constats qui se sont imposés à moi depuis. Deux particularités constituent actuellement les principaux obstacles : le fonctionnement par commission et la forte inégalité des rapports de force.

La multiplicité des dossiers dont il a déjà été question et le peu de temps à disposition pour les traiter implique que le travail parlementaire est très peu propice au travail d’équipe inter et trans-commission. Il en ressort que chaque «objet» (modifications de lois, interventions parlementaires, initiatives populaires, etc.) une fois traité par la commission «experte», ne fera pas ou très peu l’objet de débat interne au sein des groupes parlementaires. Les délégué·e·s de chaque commission portent donc la lourde responsabilité de représenter seul·e·s leur groupe au sein de leur commission et d’indiquer les enjeux propres à chaque dossier à leurs collègues de parti, et donc les indications de vote. Il n’y a plus vraiment de débat de fond en dehors du travail en commission. Cette organisation du travail, qui découle tant de la tradition que de la nécessité, implique une approche unilatérale des problématiques sous-jacentes aux différents dossiers traités, alors même qu’une approche systémique serait nécessaire face à des phénomènes complexes comme le réchauffement climatique ou l’érosion de la biodiversité. Par exemple, si l’on aborde la question de l’atténuation du réchauffement uniquement du point de vue de la politique énergétique et de ses solutions technologiques, les solutions offertes par la restauration des sols et la valorisation des pâturages seront sous-évaluées.

Évidemment l’octroi d’une commission au sein des groupes s’effectue en fonction des compétences spécifiques mais avant tout du niveau d’expérience politique, ce qui explique pourquoi je ne siège pas à la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE) qui pourtant s’occupe de politique climatique. Il a donc été particulièrement frustrant de ne pouvoir intervenir directement sur la loi CO2 tous ces derniers mois. Il faut cependant préciser que le plus gros du travail était déjà accompli en novembre avant la nouvelle législature. Depuis, mes collègues vert·e·s de la CEATE ont pu déposer onze minorités au sein de leur commission, toutes perdues en plénum, comme la quasi-totalité de toutes les minorités déposées par la gauche, quels que soient les dossiers concernés. Cela m’amène au deuxième point, l’inégale répartition des forces au sein des commissions et du parlement.

La vague verte se concrétise-t-elle par une amélioration de notre politique ? Bénéficions-nous des effets d’un parlement plus progressiste ? Sans aucun doute oui, comme l’ont montré les résultats pour le mariage pour tous ou le service civil.  Il est possible désormais d’obtenir des majorités dans les commissions dont mes collègues qui ont connu l’«ancien régime» rêvaient. En règle générale, tout comme les groupes parlementaires font confiance à leurs délégué·e·s des différentes commissions, le parlement fait confiance aux majorités issues des commissions. Ainsi, l’UDC s’est retrouvé minoritaire lorsqu’elle réclamait une non entrée en matière de la loi CO2, ce qu’elle n’a pas obtenu, les autres partis ayant pris le parti de la majorité. A l’inverse, alors que mes collègues vert·e·s proposaient plusieurs mesures pour renforcer la loi, soutenues uniquement par le PS, quelques unes également par les Verts lib, ils n’étaient toujours que minoritaires, et le parlement rejetait également ces minorités. Pour faire pencher la balance, il faut qu’une part suffisante du centre droit vote avec la gauche et cela n’arrive pas très souvent. Le résultat de tout cela est que nous avançons certes, mais à «petit pas», et que cela n’est certainement pas compatible avec l’urgence climatique.

Valentine Python, climatologue, conseillère nationale