La saga verte de la décennie

Beaucoup n’ont
plus foi en la politique, considérant qu’elle n’est pas apte à
répondre aux défis de notre temps. C’est peut-être en partie
vrai, mais ce n’est certainement pas une raison pour la laisser
encore davantage aux mains de forces moins scrupuleuses qui se
moquent du bien commun. Et puis, surtout, il y a des motifs d’espoir,
illustrant la devise que nous avons faite nôtre depuis longtemps:
“penser global, agir local”. Désormais, quand je croiserai
quelqu’un me disant que la présence écologiste dans les instances
politiques est vaine, je lui raconterai l’histoire de
l’interdiction de l’extraction des hydrocarbures dans le canton
de Vaud. Petit retour sur une saga en cinq épisodes, avec un
épilogue plus que réjouissant.

Episode 1. Il
y a une dizaine d’années, le débat sur l’utilisation des
ressources du sous-sol s’invite en Europe en réaction à l’appétit
vorace des lobbies du gaz et du pétrole et suite à divers scandales
liés à l’exploitation des gaz des schistes notamment aux
Etats-Unis. Les Verts interviennent une première fois au Grand
Conseil en 2011 par une interpellation de Vassilis Venizelos. C’est
en réponse à cette interpellation que le Conseil d’Etat annonce
un moratoire sur l’extraction de gaz de schistes dans le canton.

Episode 2.
Malgré le moratoire décrété par le Conseil d’Etat, divers
projets de forages exploratoires progressent dans le canton, dont
celui bien connu de Noville. Les exploitants parlent de “prospection”
et se gardent bien de mentionner que des gaz de schistes pourraient
être exploités. La résistance s’organise, avec des collectifs
citoyens par exemple dans la région de Noville ou dans le
Gros-de-Vaud. Il est temps de revenir à la charge au plan politique,
le simple moratoire du Conseil d’Etat n’ayant pas force de loi.
Par une motion du soussigné déposée en 2014, les Verts au Grand
Conseil demandent une révision législative permettant à la fois de
poser un cadre clair pour la géothermie et d’interdire les
méthodes de fracturation hydrauliques utilisées pour l’exploitation
des gaz de schistes. Soutenue par une majorité du Grand Conseil, la
motion contraint le Conseil d’Etat à lui soumettre un projet de
loi allant dans le sens demandé.

Episode 3. Il est à craindre que la révision de la loi
cantonale ne soit pas à la hauteur des enjeux. Les Verts vaudois,
avec quelques partenaires, nous lançons donc en 2017 notre
initiative “Pour un canton sans extraction d’hydrocarbures”
visant précisément à interdire toute extraction d’hydracarbures,
conventionnels ou non. Comme le savent celles et ceux qui ont récolté
des signatures, cette initiative fait un tabac lors de la récolte.
Un succès qui nous place en position idéale pour préparer la
révision législative à venir…

Episode 4. Le
Conseil d’Etat soumet au Grand Conseil son projet de loi sur les
ressources naturelles du sous-sol au début de l’année 2018 en
guise de réponse à la motion de 2014 et comme contre-projet à
notre initiative de 2017. Un pas supplémentaire est franchi dans la
bonne direction: il est proposé d’interdire la fracturation
hydraulique dans la loi. La commission parlementaire se met au
travail et l’enjeu principal des discussions gravite autour de nos
revendications. Suite à un intense travail de persuasion et de
négociation, la commission accouche d’une version encore améliorée
de la loi: ce n’est pas seulement la fracturation hydraulique qui
serait interdite, mais l’extraction de tous les gaz
non-conventionnels. La droite majoritaire au Grand Conseil a déjà
le sentiment d’avoir trop fait de concessions aux méchants écolos
et menace de tourner casaque si nous ne nous satisfaisons pas de
cette version. C’est mal connaître les Verts et leur
opiniâtreté…

Episode 5. La
commission parlementaire, divisée, fait rapport au Grand Conseil. La
droite milite pour sa version qu’elle considère déjà comme trop
“généreuse” en faveur de l’environnement. (Soit dit en
passant, je n’ai jamais compris comment on peut être “trop”
généreux en faveur de l’environnement, comme s’il y avait un
seuil de générosité à partir duquel cela devenait dangereux. Je
me dis que cela doit être le novlangue PLR; il ne faut pas chercher
à comprendre). La majorité de la commission semble sûre de son
fait et fait mine de n’avoir pas peur d’un scrutin populaire sur
l’initiative populaire. Sauf que la canicule de l’été 2018 et
les assises du climat organisées par le canton ont passé par là
dans l’intervalle. Il n’est pas tenable de faire de grandes
promesses en matière climatique si l’on n’est même pas capables
de laisser nos hydrocarbures vaudois dans le sous-sol… A grands
renforts de négociations de dernière minute et d’engagements de
retrait de l’initiative, nous parvenons en deuxième débat en
plénum à faire voter une majorité du Parlement en faveur d’un
article de loi très proche du contenu de notre initiative. Le vote
sera confirmé en troisième et ultime débat.

Epilogue. Aucun référendum n’a été lancé à l’encontre de la loi votée à la fin de l’année dernière. De même, aucun recours n’a été déposé dans le délai légal. En conséquence, il n’y aura désormais plus d’extraction d’hydrocarbures, quels qu’ils soient, sur sol vaudois! Les projets existants, à l’image du forage de Noville, doivent être abandonnés et démantelés, pour le plus grand soulagement des populations riveraines et pour le plus grand bonheur des défenseurs de la nature et du climat! Peu auraient pronostiqué une telle issue au tournant des années 2010. Alors certes, nous n’avons pas encore répondu à tous les défis en matière climatique grâce à cette interdition. Mais c’est déjà un petit ruisseau contribuant à alimenter la rivière qui pourrait, on l’espère, infléchir le cours de l’histoire postmoderne. N’en déplaise aux irresponsables et aux esprits chagrins qui préfèrent critiquer les jeunes dans la rue au lieu d’interroger leur propre déni.

Raphaël Mahaim, député