La dernière session a été largement dominée par le thème du harcèlement, à tel point que les objets que nous avons traités ont été quelque peu passés sous silence. Cependant, une initiative populaire dont nous avons débattu aurait mérité plus d’attention. Il s’agit de l’initiative pour la souveraineté alimentaire, déposée par le syndicat paysan Uniterre, proche des Verts puisque Fernand Cuche en est l’un des éminents représentants.

Un texte un peu « fourre-tout », mais une vision que nous partageons

De fait, les Verts ont été le seul groupe parlementaire à défendre ce texte. Il faut dire que l’initiative pour la souveraineté alimentaire a un défaut : elle réunit en dix alinéas un grand nombre de points très différents, de l’augmentation du nombre d’actifs dans l’agriculture à l’interdiction des OGM, en passant par la maîtrise des semences par les paysans, le maintien des protections douanières, le rejet des subventions à l’exportation ou encore l’encouragement de la transformation à l’échelle régionale. Les raisons de la soutenir – ou au contraire de la rejeter – sont d’autant plus nombreuses et les discussions d’autant plus complexes.
Cependant, même si l’on peut être plus ou moins séduit par tel ou tel de ses point, l’orientation générale du texte est claire : il vise à instaurer une agriculture plus durable, du point de vue écologique, économique et social. Il s’agit en effet d’encourager une agriculture localement ancrée, diversifiée et exempte d’OGM. Il s’agit aussi d’assurer aux agriculteurs un revenu correct, afin de maintenir un nombre suffisant d’exploitations dans notre pays. Enfin, il s’agit d’assurer des échanges commerciaux internationaux plus équitables, de manière à éviter le dumping écologique et social. Ces objectifs généraux coïncident avec la vision que les Verts ont toujours défendue, raison pour laquelle notre groupe a soutenu le texte, tout comme un contre-projet qu’une minorité de la commission défendait.

Notre agriculture a encore du chemin à faire pour être durable

En 2016, un rapport du Conseil fédéral montrait qu’aucun des treize objectifs environnementaux fixés en 2008 pour l’agriculture n’avait été atteint. Il n’est donc pas inutile de réclamer, une fois encore, une production agricole ménageant les ressources naturelles. Par ailleurs, même si la question de l’exclusion des cultures OGM s’est réglée jusqu’ici dans le cadre d’un moratoire plusieurs fois renouvelé, nous savons tous qu’il faudra un jour se prononcer à plus long terme. Le texte, en défendant une agriculture paysanne et diversifiée, explicitement sans OGM, aurait l’avantage de clarifier la situation. L’initiative aborde en outre de manière judicieuse la question des aliments pour animaux, qui constitue un problème écologique majeur, puisque nous importons de grandes quantités de protéines végétales issues d’une agriculture peu respectueuse de l’environnement et destructrice de l’agriculture paysanne dans d’autres pays.
Du point de vue économique et social, l’initiative cherche à instaurer plus de transparence et d’équité dans le marché agro-alimentaire. Nos paysans subissent de fortes pressions : leurs revenus sont modestes et ils restent soumis à la concurrence de denrées alimentaires importées à bas prix, souvent peu recommandables d’un point de vue écologiques et social. C’est bien simple : 45 % des exploitations agricoles ont disparu depuis 1990. Il faut agir pour maintenir la richesse et la diversité de notre tissus agricole.

Le danger d’une accentuation du libre-échange

Le peuple a certes voté à près de 80 % le nouvel article constitutionnel sur la sécurité alimentaire. L’introduction, via ce nouvel article, d’un point exigeant que les relations commerciales transfrontalières contribuent au développement durable de l’agriculture et du secteur agroalimentaire ne constitue cependant pas une réponse. En effet, les projets du Conseil fédéral pour la politique agricole après 2022 le contredisent. Il est prévu de fragiliser les instruments qui permettent aujourd’hui de maintenir un minimum sous contrôle le dumping écologiques et social menaçant notre agriculture locale.
Le Conseil fédéral ne dit rien des mesures d’accompagnement qui pourraient préserver, dans un tel contexte, les acquis écologiques ou en matière de respect des animaux de notre agriculture. Une telle politique aurait en outre pour effet de condamner un grand nombre d’exploitations, en particulier en montagne, où elles sont de plus petite taille. Celles qui survivraient seraient contraintes d’aller vers des activités intensives, alors que les consommateurs et les citoyens suisses sont attachés à une agriculture paysanne, de proximité, respectueuse des personnes, des animaux et de l’environnement.

Souveraineté alimentaire et Fair Food vont dans le même sens

En soutenant l’initiative pour la souveraineté alimentaire, le groupe des Verts a donné un signal fort contre une agriculture industrielle et déconnectée des terroirs que la population suisse a toujours voulu éviter. Ce combat est d’ailleurs aujourd’hui aussi porté par notre propre initiative Fair Food pour des aliments équitables, qui se concentre sur la question du dumping écologique et social lié aux importations. Ensemble, ces deux textes nous permettent de dire haut et fort que nous voulons une agriculture durable pour notre pays, mais aussi ailleurs dans le monde, en favorisant des importations responsables. Tant notre initiative Fair Food pour des aliments équitables que l’initiative pour la souveraineté alimentaire seront soumises au peuple. Nous nous réjouissons de mener campagne en leur faveur.
Adèle Thorens