Interpellation

La loi sur les bourses d’études empêche-t-elle des jeunes de finir leur formation ? Y a-t-il un «plafond de verre» pour les étudiantes boursières?

«Apprends électronicienne, deviens Ingénieure en génie électrique», «Apprends coiffeur, deviens biologiste» : depuis 2015 fleurissent des affiches qui «mettent en avant la perméabilité du système éducatif suisse». Véritable mantra, le consensus politique qui entoure le système de formation suisse vendu au monde entier ne cache-t-il pas une réalité moins glorieuse ? N’y a-t-il pas un peu d’hypocrisie dans ces affiches et qu’en est-il vraiment de cette possibilité de construire des parcours de formation ouverts, de se rattraper, d’accéder à des qualifications supérieures ?

En
cette période qui précède la grève des femmes du 14 juin 2018, il
est nécessaire de s’interroger sur tous les freins qui empêchent
les femmes, en situation précaire en particulier, de pouvoir accéder
à des qualifications meilleures, à des statuts plus stables et
reconnus, à briser le fameux « plafond de verre ».

Il
y en est un qui continue de frapper les étudiantes boursières : il
s’agit de la limitation de la durée maximale d’octroi d’une
bourse d’études. Aujourd’hui, la Loi sur l’aide aux études et
à la formation professionnelle (LAEF), dans son article 18,
détermine une limite de 10 ans de formation post-obligatoire au-delà
de laquelle il n’est plus possible de se voir octroyer une bourse
d’études. Selon l’art 17 du règlement d’application
(RLAEF), cette durée de 10 n’est pas la durée pendant laquelle on
a touché une aide de l’État, mais « sont prises en compte dans
la durée absolue de dix ans toutes les années de formation,
qu’elles aient donné droit ou non à l’octroi d’une allocation
[…] ».

Selon
les données fournies par Statistique Vaud et par l’Office fédéral
de la statistique la durée moyenne d’une formation professionnelle
initiale est de 3,4 ans, d’un Bachelor HEU de 3,9 ans, d’un
master HEU de 2,2 ans (respectivement 3,5 et 2,4 ans en HES). Par
conséquent une apprentie précaires qui entend atteindre
l’université avec un parcours « classique » soit CFC + Maturité
fédérale + Passerelle + Bachelor + Master, n’est pas en mesure de
le faire si elle est boursière puisqu’en moyenne cela lui prendra
presque 12 ans si elle fait sa maturité en 1 an et la passerelle en
1 an également. J’ajoute que selon les mêmes statistiques la
durée moyenne des études augmente et cela est dû — c’est le
serpent qui se mord la queue — notamment par le manque d’aides et
la contrainte pour 80 % des étudiants de travailler à côté
de leurs études.

La
vie n’est pas un chemin linéaire. Nous savons toute et tous
comment les parcours de formation ne correspondent que très rarement
au schéma théorique. Vie personnelle, vie familiale, difficultés
économiques, problèmes de santé, reconversion ou changement
d’orientation, échecs, etc.: l’aide que nous octroyons aux
jeunes en formation doit prendre en compte le caractère souvent
sinueux d’un projet de formation et la difficulté de le mener à
bien comme elles ou ils l’aurait voulu. Il faut également donner
la chance à tout le monde de pouvoir se remettre d’un échec.

Le
Conseil d’État a beaucoup mis en avant la nécessité de faire
sortir les jeunes de l’aide sociale pour qu’ils puissent accéder
à des formations et leur permettre de mieux s’insérer dans le
marché du travail. Empêcher une personne, des jeunes femmes en
situation précaire en l’occurrence, de mener à bien un projet de
formation c’est fragiliser leur position dans le marché du
travail et renforcer leur risque de tomber dans la pauvreté.

C’est
pourquoi j’ai l’honneur de poser les questions suivantes au
Conseil d’État :

  • Dans
    combien de situations est-ce que les allocations fournies par
    l’Office des bourses ont dû être interrompues au cours de la
    formation d’une ou un jeune en formation ?
  • Le
    Grand conseil a prévu expressément des marges de manœuvre pour
    les situations exceptionnelles (art. 18 al. 2 LAEF). Est-ce que
    l’Office les utilise pleinement et dans quelle mesure les projets
    de formation malgré des parcours sinueux sont-ils soutenus ? Est-ce
    que toutes les passerelles, y compris le gymnase du soir, sont-ils
    intégrés dans les dispositions d’exception ?
  • Qu’est-ce
    que le gouvernement, dans sa politique de promotion de l’égalité
    entre les hommes et les femmes, a prévu pour empêcher l’existence
    d’un « plafond de verre » dans l’accès aux métiers
    à haute qualification pour les femmes en situation précaire ?
  • La
    limitation relative de la durée pendant laquelle il est possible de
    percevoir une bourse durant une formation (art. 17 LAEF) et le fait
    que l’Office n’entre en matière que pour des formations donnant
    accès à un titre supérieur (art. 15 al. 2) ne sont-ils pas des
    mesures suffisantes pour s’assurer de la diligence d’une
    boursière et de l’utilité de son projet de formation? Cela ne
    rend-il pas caduque l’utilité d’une durée maximale ?

Je remercie d’avance le Conseil d’État pour ses réponses.

Séverine Evéquoz