Interpellation urgente

Le barreau routier Vigie-Gonin retardant encore le tram, il est temps de proposer des alternatives respectueuses du climat et de la biodiversité
Depuis 2011, tout en soutenant fermement le projet de tram Renens-Gare – Lausanne-Flon (t1), les Verts lausannois, ainsi qu’Ensemble à Gauche, ont régulièrement critiqué la mesure d’accompagnement consistant à construire un barreau routier entre la Rue de la Vigie et l’Avenue Jules-Gonin au travers et au détriment de la forêt du Flon. Au fil des années, nous sommes intervenus à plusieurs reprises au sein du Conseil communal de Lausanne (question écrite, interpellations, postulat et débats dans le cadre des préavis) pour tenter de ramener les autorités à la raison, proposer des alternatives à la construction de cette nouvelle route en plein centre-ville et demander que ces alternatives soient sérieusement étudiées afin de trouver une solution réfléchie plutôt qu’imposée par manque d’information. Malheureusement, tant la Municipalité que le Conseil communal ne nous ont pas suivis, estimant notamment, à tort, qu’examiner des alternatives allait entraîner un retard des travaux et de la mise en service du tram.
Il y a un peu plus d’une année, les Verts lausannois et Ensemble à gauche s’étaient par contre félicités 1 de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) du 2 février 2018 2 , par lequel, en substance, le TAF validait l’autorisation de construire pour le tram et le bus à haut niveau de service (BHNS) attendus depuis de nombreuses années et indispensables pour notre politique de mobilité, tout en renvoyant le projet routier du barreau Vigie-Gonin à une procédure ad hoc, estimant que l’Office fédéral des transports (OFT) n’était pas compétent pour valider cette mesure d’accompagnement, faute de lien suffisamment étroit entre les deux infrastructures (ferroviaire et routière).
Les transports publics lausannois (tl) ont fait recours au Tribunal fédéral (TF) contre cette décision du TAF, retardant d’autant le début des travaux du tram. Là encore, lors du débat, les Verts lausannois et Ensemble à Gauche ont regretté cette volonté des tl de recourir, portant ainsi préjudice à leur propre projet de tram. La décision du TF est tombée le 8 mai 2019 et, par 3 juges contre 2, il a annulé la décision du TAF et renvoyé le dossier à cette autorité pour examiner la validité des plans routiers du barreau Vigie-Gonin. Nous accueillons cette dernière décision avec un certain regret, car elle est la pire qui pouvait arriver : celle qui retarde encore le plus le projet de transports publics. Avec encore au minimum un temps de traitement de 18 mois devant le TAF, puis à nouveau une douzaine devant le TF en cas de nouveau recours, suivi de 4 à 5 ans de travaux, le tram n’arrivera donc vraisemblablement pas avant 2027 à la Place de l’Europe.
Dans le courant de l’été, le Tribunal a publié les considérants des arrêts rendus à ce sujet (il y en a quatre au total, dont un principal : l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_125/2018 du 8 mai 2019), ce que nous attentions notamment avant de demander l’urgence à cette interpellation, afin de permettre à la Municipalité de nous répondre en toute connaissance de cause. Le TF retient en substance que la décision du TAF était trop formaliste et qu’il fallait admettre la compétence de l’OFT à valider les plans routiers, de même que de retenir que tel avait été le cas. En plus de cet élément purement formaliste, le TF a admis qu’il existait un lien suffisant entre le barreau routier et le projet de tram, qui nécessitait de les examiner en commun. Il a donc été renvoyé au TAF pour que celui-ci examine juridiquement « les problématiques liées au défrichement et aux expropriations nécessaires à la réalisation de cet ouvrage », ainsi que la validité et la proportionnalité de cette nouvelle route. Toutefois, les seules études évoquées par le TF pour indiquer la (prétendue) surcharge du carrefour Chauderon- Sud datent de 2010, 2012 et 2013, puis une note de 2014 qui indiquerait une charge de 90% avec les mesures de compensation (dont la rampe en question) et non plus de 100% comme retenu en 2012… alors que nous sommes bientôt en 2020 !
Il existe une voie qui permettrait de mettre fin à ces procédures judiciaires dommageables, qui ne font que retarder la mise en service du tram : démarrer les travaux du tram et des BHNS sans délai, puisqu’ils sont maintenant validés par les instances judiciaires, et rechercher une alternative concertée avec les opposants au barreau Vigie-Gonin plutôt que de porter à nouveau le même dossier devant les tribunaux, raccourcirait possiblement la mise en service du tram.
En effet, le nouveau jugement à venir devant le TAF est relativement imprévisible. Etant donné qu’il impacte la forêt, le projet de barreau doit être conforme à l’article 5 de la Loi fédérale sur les forêts (LFo), qui part du principe que tout défrichement est interdit (le défrichement étant un des éléments expressément mentionné par le TF comme devant être examiné par le TAF, à son considérant 4.4). Pour qu’une autorisation puisse être accordée à titre exceptionnel, il faut répondre à deux conditions impératives : un intérêt prépondérant, ce qui semble être accordé par le récent jugement du TF qui lie le projet routier à celui du tram, mais aussi la preuve que l’ouvrage pour lequel le défrichement est sollicité soit indispensable et ne puisse être réalisé qu’à l’endroit prévu. Cette démonstration ne sera pas des plus faciles à faire pour les porteurs de projet, car comment démontrer en 2019 que le barreau Vigie-Gonin est nécessaire et qu’aucune alternative ne soit possible hors de l’aire forestière?
Il est utile de rappeler que lors de la demande de concession ferroviaire du 15 mars 2010 pour le tram t1, la liaison routière Vigie-Gonin ne figurait pas dans le projet. Les études de trafic avaient alors démontré que le tram était réalisable sans elle. Ce n’est que le 16 décembre 2010 qu’il a été ajouté, parce qu’il constituait l’accès à un futur tunnel routier imaginé sous Saint-François. L’ajout du barreau Vigie-Gonin dans le projet de tram a alors été imposé aux tl. De nouvelles études de trafic ont été réalisées, démontrant cette fois-ci l’utilité de cette liaison.
Mais aujourd’hui, les choses ont changé, nous sommes en 2019! D’une part, le Plan directeur communal (PDCom) a fort heureusement supprimé toute référence à un éventuel futur tunnel sous Saint-François dans sa version finale. D’autre part, plus le temps passe, moins le barreau Vigie-Gonin ne sera nécessaire. En effet, le taux de motorisation des Lausannois continue sa décroissance et les parts modales des transports publics et de la mobilité douce continuent à augmenter. Les études de trafic ayant conclu à la nécessité du barreau Vigie-Gonin sont de surcroît trop vieilles et ne prenaient même pas en compte les développements futurs de l’offre en transport public, comme le métro m3, qui, les années passant, va finalement se réaliser très peu de temps après le tram t1, diminuant significativement le trafic au carrefour Chauderon Sud. De nouvelles études doivent donc être réalisées sur la base des données actuelles et du retour d’expérience très positif des monitorings réalisés lors de récentes fermetures provisoires de tronçons routiers (Pont Chauderon et Vieux-Moulin), qui ont montrés un intéressant phénomène d’évaporation du trafic. Tout cela devrait naturellement conduire à renoncer au barreau routier Vigie-Gonin, économisant des millions de francs et sauvant un poumon vert du centre-ville.
La Municipalité vient par ailleurs d’établir un rapport-préavis 2019/30 qui sera prochainement soumis à l’approbation du Conseil communal, pour une politique climatique et l’élaboration d’un plan climat. La sortie de ce rapport-préavis constitue la deuxième raison de la demande d’urgence de cette interpellation, compte tenu de l’urgence aux mesures climatique qu’il implique, et à la place qu’il donne au patrimoine arboré, comme base de compensation (« puit ») carbone, mais aussi de barrière climatique citadine pour lutter contre les canicules toujours plus importantes.
Il est aussi utile de rappeler que l’arrêt du TAF de l’an dernier avait débouté des opposants sur toute la ligne à propos de la diminution de l’accès routier au centre-ville et du nombre de places de stationnement.
Enfin, il faut encore relever que la réalisation du barreau Vigie-Gonin est contraire avec la politique de mobilité durable que les autorités cantonales et communales ont elles-mêmes inscrits dans le Plan directeur cantonal (PDCn), le Projet d’agglomération Lausanne-Morges (PALM), le nouveau Plan des mesures OPair 2019 de l’agglomération Lausanne-Morges ou le Plan directeur communal (PDCom) de Lausanne.
Alors que la quasi-totalité des partis politiques a fait de la protection du climat et de la biodiversité leur priorité en cette année électorale, il est temps de passer à l’action et de prouver que ce ne sont pas là que des mots, mais que des actes concrets et locaux doivent suivre, à commencer par la préservation de la forêt du Flon et le renoncement à une route supplémentaire en plein centre ville. L’urgence climatique décrétée par le Canton de Vaud, ainsi que les postulats déposés au Conseil communal de Lausanne et renvoyés à la Municipalité concernant un Plan climat,ainsi que l’urgence climatique, permettront aussi de fixer des exigences claires en terme de protection du climat pour la Ville de Lausanne.
Sur la base des éléments présentés ci-dessus, l’objet de cette interpellation est de poser les questions suivantes à la Municipalité :

  1. La Municipalité peut-elle préciser les prochaines étapes prévisibles de la procédure et le calendrier indicatif associé ?
  2. Est-ce que dans l’attente du futur jugement du TAF, de nouvelles études de trafic ont été ou vont être réalisées, notamment en tenant compte du M3 et sans le barreau Vigie-Gonin ?
  3. Est-ce que dans l’attente du futur jugement du TAF, des alternatives au barreau routier Vigie-Gonin ont été ou vont être étudiées ?
  4. En fonction du résultat de ces études, la Municipalité est-elle prête, le cas échéant, à renoncer à la réalisation du barreau Vigie-Gonin et à la destruction de la forêt du Flon ?
  5. Existe-t-il un « plan B » notamment au cas où le TAF devait refuser la réalisation du barreau Vigie-Gonin au travers de l’aire forestière ?
  6. Comment la Municipalité explique-t-elle les différences ressortant des deux études de trafic de 2010 relatives aux mesures d’accompagnement du tram, l’une indiquant que la réalisation du tram était possible sans la liaison routière, l’autre non ?
  7. Au vu des années qui passent et de l’évolution constatée de la mobilité à Lausanne, la Municipalité n’estime-t-elle pas que l’étude qui a été réalisée pour démontrer l’utilité de la liaison routière Vigie- Gonin est dépassée et qu’il serait pertinent de mettre à jour les études de trafic qui ont abouti au choix du barreau Vigie-Gonin, d’autant que le tram ne devrait pas être mis en service avant 2027 ?
  8. La Municipalité est-elle prête à tout faire pour que la réalisation du tram Renens-Gare – Lausanne- Flon (t1) démarre dès que possible et ne soit pas retardée davantage ?
  9. La Municipalité est-elle prête à tout faire pour que la mise en service du bus à haut niveau de service (BHNS) Prélaz-les-Roses – Saint-François démarre dès que possible et ne soit pas retardée davantage ?
  10. La Municipalité n’est-elle pas d’avis, compte tenu de la longueur des procédures judiciaires vers lesquelles on se dirige encore, que la proposition et la mise à l’enquête dès que possible d’une alternative au barreau Vigie-Gonin pourrait potentiellement permettre une réalisation plus rapide du tram dont l’agglomération lausannoise a besoin ?
  11. Au vu de la prise de conscience généralisée et scientifiquement prouvée de l’urgence climatique, dont il est fait état dans le rapport-préavis 2019/30, la Municipalité n’estime-t-elle pas qu’il serait opportun d’éviter la construction d’une nouvelle liaison routière en plein centre-ville en lieu et place d’une aire forestière?

Xavier Company, Valéry Beaud, Benjamin Rudaz, Alice Genoud, Daniel Dubas, Vincent Rossi, Anne Berguerand
1Interpellation urgente de Valéry Beaud et crts « Le tram passe, la rampe trépasse ! » du 6 mars 2018 ; Interpellation urgente de Johann Dupuis et crts « Le barreau Vigie-Gonin : quel plan B pour cette liaison routière ayant échappé à tout contrôle démocratique ? » du 6 mars 2018
2A-2465/2016, https://www.bvger.ch/dam/bvger/fr/dokumente/2018/01/Arrêt%20A-2465-2016.pdf.download.pdf/A-2465-2016_WEB.pdf