La notion de service public appliquée aux transports fait couler beaucoup d’encre, depuis l’émergence des compagnies ferroviaires, leur nationalisation, puis les lignes de tramway ou bus urbains, les cars postaux, etc… Ces modes de transport collectifs permettent de rationaliser beaucoup de paramètres, notamment les frais et la charge mentale de la conduite (un seul conducteur pour plusieurs dizaines ou centaines de personnes), l’emprise spatiale, et finalement les ressources (énergie directe ou énergie grise). La concurrence directe est le transport individuel, incarné par le transport individuel motorisé (TIM) et la sacro-sainte voiture couronnée au XXème siècle. La politique suisse des transports a permis de fortement développer les deux modes, collectifs et individuels, publics et privés avec toutefois des effets indésirables massifs causés par la pollution (chimique, sonore) et une consommation de sol importante.
A l’heure de l’urgence climatique, et dans un pays fortement motorisé comme la Suisse, nos autorités font preuve d’un somnambulisme routier catastrophique en maintenant des projets routiers pharaoniques. Or la quantité d’émissions de gaz à effet de serre découlant du transport est la seule à ne pas diminuer en Suisse. Comme cité plus haut, une planche de salut se situe sur le report modal de la route vers le rail/bus/métro, ou même des modes encore plus doux (marche, vélo). Une idée revient donc sur la table : enlever l’argument du prix et rendre les transports publics gratuits pour les usagers.
De nombreux arguments en faveur de la gratuité existent. L’accès à ces modes de transports publics serait ainsi égalitaire et solidaire à travers toutes les classes de revenu de la population. La concurrence serait claire et directe avec les frais fixes que représentent l’entretien et la possession d’un véhicule privé. Les ressources consacrées aux frais de perception, de gestion, d’entretien des automates à billet, au personnel de contrôle peuvent être affectées directement aux prestations ou à d’autres aménagements. L’accès facilité aux transports publics permet de soutenir le commerce, ou constitue une facilitation pour les touristes, qui actuellement galèrent à comprendre la structure tarifaire complexe. Il s’agit surtout de contrecarrer l’argument massue du prix, et surtout le désavantage de payer à chaque prise de transport (en amont), par rapport aux coûts « retardés » du TIM.
Toutefois, d’autres arguments viennent ternir ce tableau. La gratuité peut avoir comme effet une hausse des déprédations et incivilités, combiné à une perte de confort en cas de hausse soudaine de l’affluence en décalage avec l’augmentation des capacités (ces dernières nécessitant des achats, investissements et autres procédures longues). Plusieurs études indiquent que le report modal se produit plutôt des piétons et des modes doux vers les transports publics que d’un report modal TIM sur les transports publics. Si ce report de la voiture vers les transports publics s’effectue, même de manière mineure, et qu’aucun accompagnement n’est fait (réaffectation de la voirie, par exemple), la fluidification du trafic routier induit un effet rebond en rendant le trajet en TIM plus agréable et plus rapide qu’un bus ou un tram bondé. Finalement, les frais supplémentaires causés par la gratuité pourraient retarder ou rendre impossible des investissements lourds dans le développement de l’offre.
Finalement, au-delà de cette bataille d’arguments, se pose une montagne de questions quant aux modalités et à l’échelle spatiale ou temporelle à considérer. En effet, faut-il rendre les transports publics gratuits partout dans le canton, tout le temps, pour tout le monde, ou doit-on partir sur des offres plus ciblées, par exemple à l’échelle de l’agglomération Lausanne-Morges, ou au contraire sur des régions moins bien desservies ? Doit-on fournir la gratuité aux ménages modestes uniquement, aux jeunes, aux retraités ? Peut-on imaginer de combiner des dimanches sans voiture avec la gratuité des transports publics, ou comme c’est le cas à Morges de combiner marché local et gratuité des transports (le sac de course sert de billet). Le mode de financement est également déclinable en plusieurs versions, du tout public (financé entièrement par l’impôt) jusqu’à des financements mixtes en taxant les entreprises, notamment celles qui ne disposent d’aucun plan de mobilité. Comment se chevillerait la combinaison avec une politique de renchérissement ou de découragement de l’usage des TIM ? Doit-on réellement encourager les citoyens à effectuer des distances immenses, même si ces distances sont parcourues dans des transports en commun, ou doit-on développer une politique plus concrète de réduction des parcours, via une politique du logement et d’aménagement du territoire digne de ce nom ?
Pour débattre de ce thème et des scénarios à soutenir ou promouvoir, les Vert·e·s vaudois·es organisent un comité élargi le 13 novembre, à Lausanne. Si ce thème vous intéresse, c’est la soirée à ne pas manquer !
Benjamin Rudaz