Postulat inter-partis

Contexte général

La pandémie du COVID et la guerre en Ukraine ont montré que nous ne sommes pas à l’abri de bouleversements qui peuvent perturber profondément le fonctionnement de nos sociétés. Et il est maintenant clair que des risques bien plus importants encore nous guettent dans un avenir proche.

Dans son « Global Risk Report 2022» (p. 25), le World Economic Forum (WEF) a identifié comme risques majeures au niveau mondial, pour les 5 à 10 années à venir et par ordre de priorité : l’échec de la politique climatique, les évènements météorologiques extrêmes, la perte de la biodiversité, la crise de l’approvisionnement en ressources, la dégradation de l’environnement, l’érosion de la cohésion sociale, les crises migratoires, les risques technologiques ainsi que les conflits géopolitiques liés à l’accès aux ressources. Ces risques sont connectés entre eux et se renforcent mutuellement, comme le montre la graphique suivante (rapport WEF p. 26).

Ainsi, le réchauffement climatique entraine des phénomènes météorologiques extrêmes (sécheresses, feux, inondations, températures extrêmes). Ceux-ci peuvent mener à une pénurie en eau et en nourriture, déclenchant des conflits pour l’accès aux ressources et des mouvements migratoires de grande ampleur. En même temps, la biodiversité, déjà mise à mal par la disparition et la dégradation des habitats, s’effondre, entraînant la perte de services écosystémiques indispensables (par exemple une chute de la production alimentaire due à la perte des pollinisateurs). Le schéma ci-dessous, tiré des analyses de risques climatiques et naturels du réassureur Swiss Re, montre l’interconnexion des risques et leurs impacts sur les services écosystémiques et, par extensions, sur les activités humaines.

 

Les risques ne peuvent donc pas être appréhendés de manière isolée, en silo, mais doivent l’être de manière intégrée, selon une vision systémique. En même temps, notre société a atteint un degré de complexité qui la rend extrêmement vulnérable. La digitalisation de plus en plus poussée fait qu’une cyberattaque ou un black-out peuvent mettre hors fonction les hôpitaux, les banques, la communication et/ou les transports, mais également l’approvisionnement en eau et en énergie. La globalisation de l’économie, la délocalisation de la production de biens de première nécessité et la division de plus en plus poussée du travail et des connaissances nous rendent dépendants et limitent notre capacité à réagir face aux crises.

Il est donc essentiel d’analyser et de comprendre les risques systémiques auxquels fait face la ville de Lausanne, de les anticiper et de les prévenir dans la mesure du possible, mais – surtout – de nous réorganiser et de nous adapter à un monde de demain qui ne ressemblera pas à celui d’aujourd’hui. Le but est d’assurer les besoins humains essentiels des Lausannois et Lausannoises, tel que l’accès à de l’eau potable et à de la nourriture saine, la protection contre les intempéries, et contre le froid en hiver ou le chaud en été, la sécurité ou la santé[1] (voir schéma ci-dessous). 

Cette adaptation doit se penser – aussi et même avant tout – au niveau local[1]. Comme on le voit avec la crise énergétique actuelle, même si certains aspects de ces risques sont dépendant de décisions au niveau fédéral ou cantonal, beaucoup peut être fait au niveau communal, en particulier en terme de :

– sobriété pour augmenter notre résilience locale, que ce soit à court ou long terme, p.ex en terme énergétique (ce qui par ailleurs contribue à la résilience nationale)

– autonomie, p.ex alimentaire, en augmentant drastiquement la quantité de nourriture végétale produite localement et en créant des circuits courts avec les territoires environnements pour la part manquante

– qualité, p.ex de l’eau potable et même non-potable pour l’arrosage, en la protégeant de la contamination environnementale

Ces adaptations locales doivent par ailleurs respecter les limites planétaires[2] et la justice environnementale : il s’agit en effet de veiller à ne pas se prémunir contre des risques globaux en réfléchissant uniquement à l’échelle locale ou même nationale, ce qui pourrait présenter le risque de nuire ailleurs au vivant et aux populations les moins responsables des dégradations, ce qui aurait par ailleurs et en retour des conséquences néfastes ici. Exploiter des énergies fossiles disponibles localement, ou détruire les zones de biodiversité du territoire pour produire de l’électricité, ne ferait qu’accélérer le dérèglement climatique – et donc les intempéries et les canicules -, et la perte de biodiversité – et donc le manque de nourriture. 

Plusieurs villes et régions se sont engagés récemment dans des stratégies de résilience territoriale qui pourraient inspirer Lausanne. Sous l’impulsion de l’initiative des Villes en transition, appelée maintenant Réseau Transition[3], de nombreuses villes ont initié ou soutenu des initiatives locales décisives pour soutenir les besoins fondamentaux de sa population, dont voici quelques exemples :

–    Mise sur pied d’une ceinture alimentaire à Lièges, basée sur un système de coopératives, dont le but est de « parvenir à fournir 50% de la demande alimentaire liégeoise avec des aliments produits localement dans les meilleures conditions écologiques et sociales à l’horizon de 25-30 ans ».[4]

–    La ville de Brixton soutient actuellement son 4ème volet de mise en place de panneaux solaires par des coopératives d’habitants, qui font également des rénovations, des audits énergétiques des habitations et des formations à l’efficacité énergétique. [5]

Pour soutenir ces initiatives locales, un document intitulé « La boussole de la résilience » a été récemment mis à disposition des acteurs locaux, y compris les municipalités, par le Cerema (établissement public sous la tutelle du ministère français de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires). Ce document définit la résilience urbaine comme suit : « Un territoire résilient peut être défini comme ayant la capacité à anticiper tout type de perturbation, agir pour en atténuer les effets ou en éviter l’apparition, rebondir, récupérer, et s’adapter et se transformer. ». Il identifie 8 qualités qui caractérisent la résilience d’un système:

1) Apprenant : capable d’apprendre des perturbations et de les anticiper pour se renforcer ; 2) Intégré : pensé pour que les différents systèmes travaillent ensemble pour produire des bénéfices multiples ; 3) Robuste : conçu pour limiter la propagation des défaillances et dommages éventuels en cas de choc ou de perturbation ; 4) Flexible : adopte des stratégies alternatives en fonction des conditions ; 5) Autonome : le système maîtrise ses ressources et limite les dépendances pour assurer les besoins de base ; 6) Diversifié : augmente les chances que des éléments du système soient plus adaptés aux chocs ou perturbations ; 7) Inclusif : satisfait les besoins essentiels de tous, avec tous, en portant une attention particulière à l’inclusion des plus vulnérables ; 8) Redondant : possède une surcapacité pour s’adapter à des conditions extrêmes ou à un événement externe imprévu.

Paris a par exemple développé une telle stratégie, publiée en 2017.[6] Elle a pour cela bénéficié du soutien du programme « 100 Resilient Cities ». Elle a tout d’abord fait un état des lieux qui a permis d’identifier six enjeux prioritaires qui fragilisent le territoire et constituent des défis pour la ville[7]. Elle a ensuite élaboré une stratégie de résilience comportant au total 35 actions, réparties en 9 objectifs et 3 piliers, qui sont en train d’être mises en œuvre. D’autres villes à travers le monde se sont engagés dans une démarche similaire, mais pour l’instant moins aboutie que celle de Paris, cette dernière ne couvrant d’ailleurs que certains des besoins fondamentaux de la population parmi ceux mentionnés ci-dessus.

Contexte lausannois

Comme tous les autres territoires, surtout ceux qui sont à prédominance urbaine, Lausanne n’échappe pas à ces risques systémiques, sur lesquels certains services la municipalité travaille déjà. Nous pensons cependant qu’il est nécessaire qu’une analyse intégrée des risques liés aux besoins essentiels de la population (approvisionnement en eau potable, en alimentation, en électricité et en chaleur), ainsi que des risques liés aux changements climatiques et écosystémiques à l’échelle de la Ville de Lausanne, ait lieu. Sur la base des risques systémiques identifiés par cette analyse, une stratégie d’adaptation territoriale pour y faire face pourra alors être développée. Cette stratégie inclurait en particulier les aspects suivants : 

Eau douce

Un plan en cas de pénurie d’eau douce, que ce soit pour des causes directes (tarissement temporaire ou chronique des sources et réservoirs d’altitude, insalubrité temporaire de l’eau du lac) ou indirectes (pénurie d’énergie pour le pompage ou le traitement de l’eau) serait nécessaire. Les systèmes prioritaires pour l’approvisionnement en eau, à maintenir à tout prix en cas de pénurie, seraient par exemple identifiés en collaboration avec les acteurs qui décident (Canton, CF, Municipalité). Les critères et les modalités des rationnements pour les autres utilisations seraient aussi définis à l’avance, afin que chacun et chacune puisse satisfaire ses besoins fondamentaux.

Alimentation

Des solutions pour faire pousser plus de nourriture, y compris dans les parcs et pelouses des zones urbaines, ou la mise en place des partenariats avec les agriculteurs et agricultrices du Canton de Vaud seraient envisagées, afin d’assurer un approvisionnement en denrées essentielles à toute la population. Ceci doit être bien entendu accompagné de toutes les mesures nécessaires pour réduire au maximum le gaspillage alimentaire, considéré actuellement comme étant environ d’un tiers de toute la nourriture.
Pour parer à des ruptures d’approvisionnement alimentaire, la création de stocks de nourriture, ou un inventaire des stocks existants serait nécessaire. Une stratégie de gestion (par canton / commune / famille?) et de distribution de ces stocks aux différents types de populations habitant à Lausanne serait développée. Une information aux habitants sur comment constituer des réserves individuelles de nourriture utiles et raisonnables, comme l’ont fait certains pays comme la Suède, pourrait également être planifiée. 

Energie (électricité et chauffage)

Une stratégie pour pallier à la pénurie d’électricité à long terme (et pas seulement cet hiver), à laquelle nous allons faire face, devrait être mise sur pied, qui commencerait par une réduction significative de la consommation de tous les secteurs de la société, en commençant par la ville elle-même, ce qui contribuerait – pour les mesures visibles comme la réduction de l’éclairage public – à inspirer ses habitant.es. Les mêmes enjeux se posent à moyen terme pour le chauffage des bâtiments, au-delà du problème qui va se poser cet hiver. Les secteurs et lieux prioritaires seraient définis et des plans de rationnement développés. Assurer une production d’électricité et de chaleur autonome et résiliente (par exemple au niveau d’un quartier), qui mette la population à l’abri de pénurie liées au marché international et aux événements géopolitiques, est devenu essentiel. Ces solutions doivent cependant être respectueuses des équilibres écologiques.

Par ailleurs, un plan de gestion des services essentiels en cas de black-out (involontaire) est également nécessaire, pas seulement au niveau national mais aussi local, qui devrait être communiqué clairement à la population.

Augmentation de la température moyenne et canicules

Une température et un taux d’humidité de l’air à partir desquels la ville devrait mettre en place des mesures spéciales, comme par exemple une restriction de la circulation des voitures dans les zones les plus affectées pour ne pas empirer les conséquences sanitaires de la chaleur chez les personnes âgées et les enfants, pourraient être envisagées. Des endroits frais qui pourraient être mis à disposition de la population si elle n’arrive pas à dormir dans ses logements seraient identifiés, et la mise en place de fontaines à eau potable dans les zones d’affluence pourraient être prévue.

Interconnexions étroites entre les différents besoins

A Lausanne, comme pour la majorité des territoires, assurer les besoins essentiels ne peut pas être appréhendé efficacement si chaque direction et services développe séparément sa stratégie, vu la très grande interconnexion entre ces différents besoins. Par exemple des pénuries d’eau aura des conséquences immédiates sur tous les autres besoins essentiels : la production de nourriture, la capacité de la population à survivre aux canicules et la production d’électricité. Ou décider de l’utilisation des terres doit tenir compte de la nécessité de préserver la biodiversité, de produire de la nourriture pour les êtres humains et les animaux, de fournir des matériaux de construction (bois) et éventuellement de produire de l’énergie (biogaz). Fin mai, le Canton a d’ailleurs publié son analyse des risques pour le territoire. La Ville pourrait capitaliser sur cette analyse et l’adapter au contexte lausannois, en y ajoutant les mesures spécifiquement locales mentionnées ci-dessus, afin de planifier des mesures préventives et préparatoires.   

Conclusion :

Le présent avis invite la Municipalité à étudier l’opportunité de procéder à une analyse des risques systémiques qui mettent en péril la satisfaction des besoins fondamentaux des Lausannoises et des Lausannois, pour ensuite élaborer une stratégie de résilience territoriale. Cette stratégie irait bien au-delà de l’adaptation au changement climatique, pour intégrer les risques de pénurie à moyen terme et de ruptures à court terme, touchant les besoins essentiels de la population.

Elle invite également la Municipalité à s’appuyer sur les expériences des villes ayant déjà entamé ce processus, ainsi que des réseaux existants, en particulier en France.

Se pose par ailleurs la question de savoir quelle suite la Ville entend donner à l’analyse des risques cantonale mentionnée ci-dessus et quelles sont les obligations légales qui lui incombent-elles en termes de mesures préventives.

[1] Voir p.ex la publication « Résilience des territoires » du Shift Project, https://theshiftproject.org/article/manuel-resilience-elus-et-collectivites
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Limites_plan%C3%A9taires
[3] https://transitionnetwork.org; https://reseautransition.ch
[4] https://www.catl.be
[5] https://brixtonenergy.co.uk/projects
[6] https://cdn.paris.fr/paris/2020/02/26/f362e908e37eee5d2c3bd0a9fbf66935.ai
[7] https://www.paris.fr/pages/paris-resiliente-4264


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Besoins_humains_fondamentaux