Interpellation urgente

Mettre en place une interdiction générale de la mendicité revient à violer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (CEDH). La Cour européenne des droits de l’homme le dit à l’unanimité dans son avis rendu le 19 janvier 2021, statuant suite au recours d’une requérante condamnée à 500 francs suisses d’amende pour avoir mendié sur la voie publique à Genève et à cinq jours de détention provisoire pour défaut de paiement. Dans son jugement[1], la Cour note que la requérante, analphabète, sans travail et ne bénéficiant pas de l’aide sociale, n’avait aucun autre moyen de subvenir à ses besoins. Et détermine ainsi qu’infliger une telle sanction à une personne vulnérable demandant l’aumône n’est pas une mesure proportionnée.

Depuis, la loi genevoise sur la mendicité a été suspendue et une nouvelle loi a été adoptée en décembre dernier. Il est probable qu’elle soit contestée au Tribunal fédéral.

Au niveau vaudois, le Canton a récemment mis en consultation publique la révision partielle de la loi pénale relative à la répression de la mendicité. Alors que la proposition cantonale s’avère déjà restrictive, la Ville de Lausanne y répond en proposant d’élargir encore la liste des lieux où la mendicité serait interdite. En cas d’adoption de l’inventaire à la Prévert voulu par la Municipalité, il deviendrait de fait impossible de demander l’aumône sur une grande partie du territoire communal, en particulier au centre-ville et dans les lieux à forte affluence.

Quant à la notion d’urgence de la présente interpellation, elle s’explique ainsi : la réponse de la Ville ayant été largement diffusée et commentée dans la presse par le Municipal principalement en charge du dossier, il nous apparaît opportun et nécessaire d’obtenir rapidement des éléments complémentaires et de faire entendre la position du Conseil communal, étant donné l’importance de Lausanne sur ce thème. Cela avant même les révisions de la loi cantonale et du règlement de police lausannois.

Nous souhaitons ainsi poser les questions suivantes à la Municipalité :

1.     La Municipalité peut-elle nous exposer son bilan de l’interdiction de la mendicité tel qu’en vigueur ces dernières années ?

2.     Comment la Municipalité juge-t-elle la révision de la loi sur la répression de la mendicité mise en consultation par le Canton ? Pour quelles raisons la Municipalité souhaite-t-elle interdire la mendicité dans bien davantage de lieux que ce que propose le Canton ?

3.     La Municipalité ne considère-t-elle pas que la mise en place d’une interdiction de fait quasi généralisée de la mendicité est contraire à la décision récente de la CEDH et risque ainsi d’être à nouveau contestée, à juste titre, devant le Tribunal fédéral et la CEDH, et donc de mener à la suspension desdites interdictions ?

4.     La Municipalité ne considère-t-elle pas qu’il est paradoxal pour ne pas dire incohérent d’interdire largement la mendicité au centre-ville mais d’y autoriser tout aussi largement les actions publicitaires comme les distributions d’échantillons de publicité, lesquelles constituent un « dérangement » des passant-e-s ?

5.     Etant donné la baisse progressive du volume d’argent liquide en circulation, la Municipalité ne considère-t-elle pas qu’interdire de mendier dans tous les lieux où l’argent liquide subsiste, revient dans les faits à interdire toute mendicité ?

6.     La Municipalité considère-t-elle toujours que la priorité politique est de lutter contre la pauvreté grandissante, renforcée encore par les crises sanitaire et inflationniste, et non de stigmatiser une partie de la population qui a le malheur de devoir mendier pour subvenir à ses besoins ?

7.     La Municipalité a-t-elle des échanges réguliers avec les associations et personnes engagées auprès de la communauté Rom ? Des mesures pour faciliter l’accès à la formation et au marché du travail des personnes mendiantes sont-elles envisagées ?

8.     La Municipalité peut-elle estimer les coûts qu’engendrerait une interdiction quasiment généralisée de la mendicité à Lausanne, en termes de ressources policières, de sollicitations de la chaîne pénale et de procédures de recouvrement ?

9.     La Municipalité ne considère-t-elle pas qu’une consultation préalable du Conseil communal aurait été opportun et lui aurait permis de répondre à la consultation cantonale de façon plus représentative au niveau politique ?

10.  La Municipalité prévoit-elle de rédiger un nouveau règlement en la matière ? Si oui, compte-elle le soumettre au Conseil communal et dans quels délais ?

Ilias Panchard

Olivia Fahmy, Sima Dakkus, Prisca Morand

[1] https://www.ohchr.org/sites/default/files/2022-03/Switzerland2nd.pdf