L’aéroport de la Blécherette est-il une zone de non-droit ?

Intervention

Je tiens tout d’abord à remercier vivement la Municipalité pour ses réponses détaillées à mes deux interpellations, qui apportent des éclaircissements bienvenus dans le flou qui entoure les activités de l’aéroport de la Blécherette.

La 1ère interpellation a été déposée le 3 juin 2020, durant l’enquête publique d’une procédure d’approbation des plans pour un projet d’implantation d’un nouveau bâtiment au nord de l’aéroport, pour l’installation de simulateurs de vol pour Pilatus PC-12.

Nous tenons tout d’abord à préciser que nous n’avons rien contre le principe d’une installation de simulateurs sur le site de l’aéroport de la Blécherette, pour autant que ceux-ci permettent de diminuer le nombre de mouvements annuels totaux en plein ciel et les nuisances associées. Or rien n’indique aujourd’hui que ce sera Ie cas, bien au contraire.

Nous tenons à relever ce soir les quelques particularités suivantes de ce projet :

  • Alors que la Commune de Lausanne est propriétaire du terrain, et qu’à ce titre elle devrait donner son accord pour tout projet de construction dans l’emprise du droit distinct et permanent de superficie (DDP), elle n’a même pas eu droit à une présentation du projet avant le dépôt du dossier pour enquête publique. Pour faire valoir ses droits, la Municipalité a donc dû faire opposition au projet.
  • Alors que le site de l’aéroport possède un Plan partiel d’affectation n° 661 « La Blécherette » en vigueur, le projet de nouveau bâtiment est situé hors du périmètre d’implantation des constructions définis par celui-ci, avec un fort impact paysager, en utilisant une procédure fédérale qui prévaut sur le droit communal.
  • Alors que le Directeur de la Compagnie aérienne Fly 7 annonce le 15 mai 2020 dans le quotidien 24 Heures une « diminution de 80% des vols de formation en plein ciel et à vide » de Pilatus PC-12 avec les simulateurs, et que la Municipalité requiert de la société Aéroport de la région lausannoise La Blécherette SA (ARLB) qu’elle s’engage donc sur un chiffre de réduction des vols d’écolage annuels, celle-ci refuse de le faire.

Le projet étant bloqué, l’ARLB a déposé le 26 mars 2021 une nouvelle demande d’approbation des plans pour l’installation cette fois-ci provisoire de deux simulateurs dans le hangar 8 existant, sans aucune mise à l’enquête publique. Cette demande a depuis été approuvée par le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), et les simulateurs sont désormais en fonction, pour une durée de trois ans.

Cette première interpellation permet donc de confirmer que l’aéroport de la Blécherette est bel et bien une zone de non-droit communal, avec de plus un exploitant qui tente de faire passer ses projets d’extension en douce, sans grande considération ni de la commune de Lausanne ni de ses habitantes et habitants.

La 2ème interpellation a été déposée le 8 septembre 2021, de façon coordonnée avec la publication d’un livre blanc des nuisances de l’aéroport par l’Association de défense des riverains de la Blécherette (ADRB) et avec le dépôt d’interpellations vertes au Grand Conseil vaudois par Alice Genoud et au Conseil National par Sophie Michaud Gigon. Cette seconde interpellation couvre différentes thématiques, que je reprendrais brièvement ici.

Mouvements d’avions et nuisances

Dans sa réponse à l’interpellation de Mme Michaud Gigon, le Conseil Fédéral explique que « l’exposition au bruit est actuellement inférieure de près de 3 dB à la valeur mentionnée dans le cadastre de buit » et que « rien ne permet aujourd’hui de conclure que les exigences ne sont pas respectées ». Nous en prenons acte, mais relevons que la vérification du respect du cadastre de bruit par l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) se base uniquement sur des données statistiques, soit, comme le dit la Municipalité sur « un modèle qui est approximatif de la réalité mais ne la reflète pas complètement ».

Nous avons d’ailleurs pu obtenir de l’OFAC le rapport d’évaluation pour l’année 2020, qui montre que la marge de 3 dB mentionnée auparavant ne tient pas compte de la modification de l’utilisation des pistes, soit de la forte augmentation des décollages en direction du sud par rapport aux hypothèses du cadastre de bruit, ce qui engendre une migration des nuisances sonore en direction de quartiers densément habités. En tenant compte de cela, la marge ne serait alors plus que d’environ 1 dB selon l’OFAC. On s’étonne dès lors que l’OFAC mentionne à la fin de son document que « une analyse approfondie supposerait de réaliser un calcul complet de l’exposition au bruit » et que « rien ne justifie la réalisation de ce calcul ». Au vu des tensions qui règnent aujourd’hui autour de l’aéroport de la Blécherette, nous estimons au contraire que l’OFAC pourrait faire ce petit effort, d’autant que le nombre d’avions bruyants a semble-t-il augmenté, notamment avec les Pilatus PC-12.

Il est également intéressant de relever le récent rapport du 9 décembre 2021 de la Commission fédérale pour la lutte contre le bruit (CFLB), qui recommande une actualisation des valeurs limites concernant le bruit aérien, en fonction de ses effets sur la santé. Il indique que « le bruit du trafic aérien devrait être évalué plus sévèrement que jusqu’à présent, tant le jour que la nuit, concrètement de 6 dB le jour ». Il mentionne aussi que « les recommandations de la CFLB doivent être mises en œuvre le plus rapidement possible ». Nous attendons donc cette révision avec impatience, sachant que l’exploitation actuelle de l’aéroport de la Blécherette ne sera dès lors plus conforme à l’Ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB).

Pour en revenir à l’exploitation actuelle de l’aéroport de la Blécherette, nous relevons que l’ARLB ne respecte pas le protocole d’accord relatif à l’exploitation de l’aéroport, qu’elle a pourtant signé le 2 octobre 2018, particulièrement la répartition nord-sud des mouvements des aéronefs.

Nous remercions par ailleurs la Municipalité d’avoir alerté l’OFAC sur les mouvements effectués hors des heures d’ouverture usuelles de l’aéroport (8h00 à 20h00) et nous relevons que l’aéroport s’est fait remettre à l’ordre par l’OFAC à propos des dérogations octroyées semble-t-il un peu facilement pour ces vols.

Nous nous réjouissons également de la prochaine mise en place par la Ville de Lausanne de capteurs permettant de mesurer en continu les émissions sonores de l’aéroport dans le cadre de l’observatoire de l’environnement. Le bruit aérien sera sous surveillance, l’aéroport n’aura qu’à bien se tenir.

Pour conclure ce chapitre, nous remercions la Municipalité de s’être saisi de ce dossier compliqué, et d’avoir désormais lancé les deux études sur les impacts économiques et sanitaires de l’aéroport de la Blécherette, qui permettront de répondre aux différents postulats en suspend.

Mais d’ici là, des mesures supplémentaires de réduction des nuisances doivent être prises, notamment par la mise en place de restrictions de vol les weekends et les jours fériés, par exemple avec des dimanches sans avions, ou par l’équipement de pots d’échappement silencieux pour les avions les plus bruyants et les plus utilisés.

Pollution de l’air et climat

Concernant la pollution de l’air et le climat, nous regrettons qu’il ne soit pas possible d’obtenir les quantités de carburants d’aviation distribués à la Blécherette, y’aurait-t-il quelque chose à cacher ? Pour le type de carburants utilisés, nous relevons que 36% est de l’Avgas 100 LL, soit une essence aviation avec du plomb. Alors qu’au niveau mondial, l’utilisation de l’essence au plomb pour les automobiles a définitivement pris fin en juillet dernier, quand l’Algérie a épuisé ses stocks, l’aéroport de la Blécherette utilise encore des carburants plombés.

Droit de superficie

Concernant le chapitre de notre interpellation portant sur le droit distinct et permanent de superficie (DDP) dont bénéficie la société ARLB SA, nous tenons tout d’abord à corriger ici une erreur dans la fonction de M. Patrick De Preux au moment du passage du DDP devant le Conseil communal en 1992, et à nous en excuser. Celui-ci n’était en effet pas encore administrateur de la société ARLB SA, qu’il rejoindra en 2004, mais Président de Aéro-Blécherette société coopérative, qui avait pour but « la promotion et le financement des activités liées à l’aviation civile de l’aérodrome de la Blécherette ».

Pour le reste, je rappelle que ce DDP ne rapporte qu’environ Fr. 60’000.- par année à la Ville de Lausanne pour une surface de 192’296 m2, soit seulement quelques 30 centimes par m2, un montant ridiculement bas.

Le préavis n° 147 du 28 février 1992 portant sur le Plan d’affectation pour la Blécherette et la constitution originale du DDP indique d’ailleurs que la Municipalité a « estimé normal de faire figurer en tant que subvention interne la différence entre la redevance calculée et la redevance perçue, soit Fr. 1’958’000.- » et que «  cette écriture comptable mettra en évidence l’effort fait par la Commune en faveur de l’aviation de tourisme », soit à ce jour une subvention de Fr. 43’076’000.- depuis la création du DDP en 1999 !

Avec les activités qui se sont développées ces dernières années, et récemment l’installation de deux simulateurs de vol pour Pilatus PC-12, la rente du DDP devrait être significativement augmentée et nous comptons sur la Municipalité pour faire tout son possible en ce sens.

Il est enfin utile de préciser qu’en cas de fermeture de l’aéroport de la Blécherette, en imaginant par exemple une affectation de 35% de la surface du DDP actuel en zone mixte d’habitation et d’activités au sud et un retour à l’agriculture et à la nature de 65% de sa surface au nord, la redevance des DDP sur les 66’600 m2 qui pourraient être affectés en zone à bâtir rapporterait quelques 5 millions de francs par an à la Ville de Lausanne avec les mêmes hypothèses de calcul que l’étape 1 de l’écoquartier des Plaines-du-Loup, en lieu et place des quelques Fr. 60’000.- par année actuels.

Bref, vous pouvez constater que tout ne tourne pas rond du côté de l’aéroport de la Blécherette et c’est rien de le dire. Nous aurons donc encore l’occasion d’en parler, mais dans l’immédiat, nous souhaitons déposer trois résolutions, soit :

1)    le Conseil Communal souhaite que la Municipalité poursuive ses efforts pour réduire les nuisances de l’aéroport de la Blécherette

2)    le Conseil Communal souhaite que la Municipalité fasse tout son possible pour augmenter la redevance du droit distinct et permanent de superficie (DDP) dont bénéficie la société Aéroport de la région lausannoise La Blécherette SA

3)    le Conseil Communal souhaite que la Municipalité informe la Confédération que la Ville de Lausanne s’oppose à ce que des pilotes d’armées viennent s’entraîner sur son territoire et sur le terrain dont elle est propriétaire.