Intervention (1)

R81 Préavis N° 2019/08- Projet d’aménagement hydroélectrique sur le Rhône au palier de Massongex-Bex – Constitution d’une société anonyme (SIL)

Les Verts lausannois ont majoritairement une position critique envers le projet, une minorité dans le groupe accepte cependant ce projet. Un collègue viendra défendre cette deuxième position. Je souhaite aussi déclarer mes intérêts et vous informer que je travaille pour une association nationale de protection de l’environnement, le WWF Suisse.

Le
projet de palier hydroélectrique prévu sur le Rhône entre Bex et
Massongex est un projet qui avait été conçu dans les années 90
dans le cadre du projet HydroRhône qui prévoyait à l’époque la
construction de 10 nouveaux barrages sur le Rhône. Ce projet avait à
l’époque été vivement combattu par les milieux agricoles et
environnementaux. Il a ensuite été abandonné.

Aujourd’hui,
il est donc prévu de construire un nouveau barrage sur le Rhône à
la sortie de St Maurice sur les communes de Massongex (Valais) et Bex
(Vaud) directement à l’aval de celui de Lavey. La centrale
hydroélectrique sera construite en rive gauche du Rhône et pour
assurer une hauteur de chute suffisante, le lit du Rhône sera
abaissé de 3.4 mètres. Le projet prévoit aussi des systèmes de
passe à poissons pour assurer la montaison et la dévalaison des
poissons, ainsi que des mesures de compensation nature pour compenser
les atteintes. Ce projet est conforme à la Stratégie énergétique
2050 et est considéré d’importance nationale.

La
demande de concession pour MBR a été déposée en 2016, lors de la
mise à l’enquête, il a recueilli diverses oppositions ; le
dossier est actuellement en cours de procédure. Le futur barrage
étant à cheval entre les deux cantons, les droits d’eau
appartiendront pour moitié au canton du Valais et pour moitié au
canton du Vaud, ceux-ci sont répartis (dans le canton de Vaud) entre
Romande Energie (33.33%) et la Ville de Lausanne (16.67%). La
participation de chaque partenaire aux coûts du consortium et au
capital de la société à créer suit cette même répartition.

Le
coût total du barrage s’élève à 158 mio de francs, le
financement prévoit 30% de fonds propres et 70 % de fonds étrangers,
soit 47’400’000.- de fonds propres. Dans le cadre de la nouvelle LEne
( janvier 2018), des contributions d’investissement pour de
nouveaux aménagements hydroélectriques d’une puissance supérieure
à 10 MW peuvent être demandées au moment où l’autorisation de
construire est délivrée. Cette contribution fédérale s’élèvera
pour MBR à une aide financière de 54 mio.-. Pour Lausanne la
participation totale (étude + phase de réalisation) s’élèvera à
8 mio de francs.

Les
prévisions de production du barrage s’élèvent à 75 Gwh pour le
nouvel aménagement dont 12.5 GWh iront à la ville de Lausanne. Du
point de vue économique, ce barrage arrive dans une période
délicate en raison d’un marché de l’électricité abandon et
mal régulé qui offre de l’électricité à trop bon compte.

Le
rapport préavis nous demande donc d’accepter la création de la
société MBR S.A. et d’allouer un crédit d’investissement de 8
mio pour d’une part financer la part lausannoise des études
menées par le Consortium MBR jusqu’à la création de la société,
et d’autre part participer à l’augmentation du capital pour
obtenir un financement du projet par endettement.

Mesdames
et Messieurs, je suis une protectrice des rivières. La force
hydraulique dont nous disposons aujourd’hui contribue grandement à
notre sécurité d’approvisionnement, elle joue un rôle essentiel
dans la stabilité du réseau et sa flexibilité permettant de
disposer d’une production d’électricité à la demande. Il
s’agit d’une énergie renouvelable et propre. Toutefois le
potentiel de la force hydraulique des cours d’eau est déjà
massivement exploité en Suisse et leur état écologique est
globalement très mauvais. Tous les bons emplacements (topographie
favorable) pour produire de l’énergie hydraulique sont déjà
exploités, c’est pourquoi il ne reste que des emplacements de
deuxième zone. Ce qui est le cas pour le projet MBR. Le dénivelé
naturel du Rhône à cet emplacement est insuffisant pour assurer
une rentabilité suffisante au projet, il sera donc nécessaire
d’abaisser le lit du Rhône sur 3.4 mètres au pied du barrage sur
un linéaire de 1.9 km. De telles interventions dans le lit d’un
cours d’eau sont de graves atteintes à l’écosystème de la
rivière.

En
raison de cette hauteur de chute insuffisante, c’est tout le
concept de gestion du barrage qui entre gravement en conflit –des
points de vue de la protection de la nature et de la protection des
cours d’eau- avec le projet de troisième correction du Rhône.
Pour celles et ceux qui connaissent moins ce projet, il s’agit d’un
grand projet de sécurisation du Rhône qui va du glacier du Rhône
dans la vallée de Conche jusqu’au lac Léman en prévoyant aussi
la recréation d’un delta naturel dans le Léman. Ce projet a
débuté à partir des années 2000 après les fortes intempéries
et les ruptures de digues et devrait se terminer dans une vingtaine
d’années. Il coûtera in fine près de 3.5 milliards de francs.
C’est le plus grand projet suisse en cours de protection contre les
crues. Il conjugue tout à la fois la sécurisation de la plaine et
la revitalisation du Rhône, cette rivière ayant déjà été
corrigée deux fois, elle est devenue au fil du temps davantage un
tuyau d’évacuation des eaux plutôt qu’une rivière vivante. Je
vais tenter de vous expliquer pourquoi le projet MBR en l’état
actuel compromet les
enjeux nature et paysage de la mesure prioritaire d’Aigle du projet
de la R3.

A
l’aval du palier MBR, à peu près à la hauteur de Bex le projet
de troisième correction du Rhône prévoit d’élargir le lit du
fleuve sur à peu près un linéaire de 12 km, la largeur actuelle du
lit sera approximativement doublée Le but de cet élargissement est
de le sécuriser et mais aussi de le renaturer. Le but d’une
renaturation c’est de donner à un cours d’eau fortement corrigé
et artificialisé, les caractéristiques d’un cours d’eau proche
de l’état naturel en restaurant au mieux son fonctionnement et son
équilibre écologique. Redonner de l’espace à un cours d’eau
est la première étape d’une renaturation, mais pour assurer son
fonctionnement écologique, il faut aussi rétablir les processus
naturels. C’est en particulier la dynamique des sédiments, ce
qu’on appelle le charriage, càd le matériel transporté par le
cours d’eau (sable gravier limon etc.) qui va déterminer la
morphologie et le fonctionnement écologique des cours d’eau. Il
est nécessaire d’avoir ces matériaux dans la rivière pour que se
forment de nouveaux habitats dans le lit de la rivière et sur ses
berges, là où vont s’installer les plantes pionnières et les
autres organismes spécialisés des zones alluviales typiques. Vous
l’aurez donc compris pour que l’élargissement du Rhône dans la
région d’Aigle soit propice à la biodiversité, le charriage est
indispensable. Ces matériaux solides transportés serviront à créer
des milieux naturels comme des îlots, bancs de sable, des plages de
limon qui sont des habitats pour la faune et la flore.

Les interventions sur les cours d’eau ont pendant des décennies sous-estimé l’importance de ces processus écologiques et se sont cantonnés à des approches sécuritaires ou économiques. Mais le mandat politique de la loi fédérale sur la protection des eaux exige depuis 2011 de rétablir les fonctions écologiques des cours d’eau.

Le projet
MBR va perturber ce charriage. Comme déjà dit, il est prévu de
creuser à l’aval du barrage pour obtenir une plus grande hauteur
de chute. Le lit du Rhône sera abaissé de 3 à 4 mètres. Afin
d’éviter que les apports du cours d’eau et de ses affluents ne
comblent peu à peu la chute, il est prévu de faire une extraction
permanente d’environ 10’000 m3 un peu plus bas à l’embouchure de
l’Avançon, pour garantir d’une part la sécurité (de la ville de
Bex, de l’autoroute, etc.) et d’autre part pour éviter que la
hauteur de chute du barrage diminue, ce qui mettrait en danger la
rentabilité de l’ouvrage hydroélectrique. La question de la
sécurité peut être résolue d’une autre manière en rehaussant
les digues là où c’est nécessaire. Par contre les extractions de
sédiments sont indispensables pour le bon fonctionnement de MBR.

La loi
fédérale sur la protection des eaux interdit que le régime de
charriage d’un cours d’eau soit modifié par des installations au
point de porter gravement atteinte à la faune et à la flore
indigène et à leurs biotopes, au régime des eaux et à la
protection contre les crues (art. 43, al 1). Or ces extractions
permanentes à l’embouchure de l’Avançon diminueront le
charriage du Rhône, ce qui empêchera que le lit du Rhône puisse
être revitalisé comme le prévoit le projet de troisième
correction du Rhône.
Il
y a donc un risque financier important en ce qui concerne le projet
MBR: si les arguments écologiques l’emportent et imposent un régime
de charriage minimum qui permette l’apparition des structures
naturelles dans le lit du Rhône, cela portera atteinte à la hauteur
de chute du barrage et le projet sera moins ou plus du tout rentable.
Si par contre les intérêts du barrage l’emportent, ce sont les
objectifs de la revitalisation du Rhône qui ne seront pas atteints.

Cette
discussion est en cours dans le cadre du traitement des oppositions,
et se poursuivra sans doute dans des procédures juridiques.

Erosion dramatique de la biodiversité

Les
enjeux de notre biodiversité : un taux d’extinction des
espèces «  sans précédents » et un rythme d’extinction
qui s’accélère

Concours
de circonstances, il y a quelques jours l’IPBES, le Conseil
mondial de la biodiversité, la plateforme intergouvernementale sur
la biodiversité et les services écosystémiques, déposait son
rapport qui devrait résonner comme un cri d’alarme sur l’état
de la biodiversité. Sur les huit millions d’espèces végétales
et animales présentes sur terre, 1 million sont menacées
d’extinction et pourraient disparaître ces prochaines décennies.
Rien de moins que la 6e
extinction de masse pour laquelle l’homme est responsable et qui
met en péril la survie de l’humanité. Je pense qu’il est
important de comprendre que ce constat alarmant ne touche pas que les
autres ou ailleurs, càd les forêts tropicales ou l’Amazonie ou
les éléphants en Afrique, mais en Suisse aussi la disparition et
l’extinction des espèces progressent à un rythme effrayant. Selon
l’Office fédéral de l’environnement une espèce sur trois en
Suisse est considérée comme menacée, 60 % des insectes sont sur
ces fameuses Listes rouges des espèces en danger, 80 % de nos cours
d’eau présentent en partie des déficits écologiques
considérables, 60% des poissons suisses figurent sur la Liste rouge
etc. En Suisse, la sauvegarde de la biodiversité accumule retard sur
retard en comparaison internationale (plan d’action ultra
minimaliste, budgets largement insuffisants, législations
insuffisantes).

95% des
rivières et cours d’eau sont déjà utilisés en Suisse pour la
production hydraulique, aucun autre pays au monde n’exploite aussi
intensivement ses cours d’eau. Contrairement à une idée parfois
très répandue, l’exploitation de la force hydroélectrique est
bien loin d’être aussi positive que ce que l’on pourrait croire.
Malgré les avantages déjà énumérés de cette forme d’énergie
(renouvelable, peu de CO2 et pas de déchets), il faut prendre
conscience que la construction des barrages signifie toujours une
atteinte majeure à l’écologie des cours d’eau :
fragmentation du lit des rivières, interruption des voies de
migration des poissons, colmatage du fond du lit, artificialisation
des berges, atteinte à la dynamique alluviale, dégradation des
habitats aquatiques et riverains, avec en conséquence la disparition
des espèces qui y vivent (amphibiens, oiseaux, mammifères et
plantes).

La
lutte pour la biodiversité reste toutefois un enjeu très local. Une
politique nationale de renaturation des cours d’eau est en force
depuis 2011, et elle se met péniblement en place. Nous avons ici un
projet majeur, celui de la troisième correction du Rhône, qui doit
être vu comme une opportunité unique pour revitaliser le Rhône sur
un très long linéaire. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’un
tronçon mineur, mais de la revitalisation d’un grand cours d’eau
sur plus de 12 km, une longueur exceptionnelle dans notre pays. Le
barrage MBR produira au mieux 75 GWh, ce qui correspond plus ou moins
à l’équivalent de 20’000 ménages qui consomment 4’000 kWh par
an, qu’on peut aussi comparer à l’augmentation annuelle de la
population suisse de 60’000 personnes en 2018. Faut-il compromettre
les objectifs nature de cette renaturation en l’amputant d’un
paramètre essentiel, le charriage?

Transition
énergétique

L’adoption
de la Stratégie énergétique 2050 lors de la votation populaire du
21 mai 2017 a
été un pas dans la bonne direction. La sortie programmée du
nucléaire, le développement des
énergies renouvelables et les objectifs d’efficacité énergétique
sont désormais ancrés dans la loi.

Nous
souhaitons
tourner le dos aux énergies nucléaire et fossiles.
Les énergies renouvelables sont la clé de la durabilité.
Cependant, comme nous l’avons vu, leur développement n’est pas
nécessairement respectueux de l’environnement.

Il s’agit maintenant de réduire notre consommation d’énergie, clef de voûte pour mettre en oeuvre l’Accord de Paris.! On sait que 2 KW/h sur 5 sont gaspillés et qu’il y a en Suisse un potentiel de gain de 19 TWh dans l’économie d’énergie, soit pratiquement 1/3 de la consommation d’électricité nationale. Ces 19 TWh correspondent à la production actuelle du nucléaire suisse comme le mentionne le rapport-préavis à la page 3. Malheureusement les économies d’énergie sont encore aujourd’hui le parent pauvre du tournant énergétique. A titre d’illustration, on rappellera qu’à Lausanne nous avons accepté l’année passée le crédit de 3.1 millions pour renouveler le programme Equiwatt (2019-2022) et que celui-ci permettra en 2022 d’économiser 7.1 GW/h, soit l’équivalent de 0.25% de la consommation lausannoise. C’est pas beaucoup et cela montre que cela ne va pas être facile d’aller dans cette direction qui est pourtant la seule option durable. L’assainissement énergétiques des immeubles est bien trop lent. Ce sont dans ces domaines que les 158 moi du projet ou les 8 mio de Lausanne devraient être investis.

Autre
piste pour la transition énergétique l’énergie solaire : Le
dernier communiqué de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN)
nous a informé en avril 2019 que les toits et les façades des
maisons suisses pourraient produire 67 TWH d’électricité solaire
par an. C’est bien plus que ce dont a besoin la Suisse ! La
semaine passée, Roger Nordmann a sorti son livre « Comment
passer de 2 à 50 GW photovoltaïque pour remplacer le nucléaire,
électrifier la mobilité et assainir les bâtiments ».
Moyennant le respect de hauts standards écologique et social, la
production à base de solaire (dont les coûts de production sont
aujourd’hui moins cher que l’hydraulique) est la voie d’avenir.

Transition
urgente

Le
débat de fond porte sur l’intérêt et la proportionnalité de ces
nouveaux captages hydroélectriques au fil de l’eau qui ne
contribuent que très faiblement à l’approvisionnement en
électricité du pays. Si la Suisse a été de 1850 à 1950 la
pionnière mondiale dans le développement de l’énergie
hydraulique, au 21e
s. les enjeux sont ailleurs pour réussir une transition énergétique
moderne respectueuse de la biodiversité locale.

Bien
que son urgence ne soit pas encore aussi bien perçue par le grand
public, l’effondrement de la biodiversité est une crise encore
plus grave que celle du réchauffement climatique. Son effondrement
est révélateur d’un état extrêmement préoccupant de l’état
de la planète. La biodiversité est malheureusement à l’heure
actuelle négligée par la réflexion politique.

Pour
tous ces motifs la majorité du groupe des Verts vous recommandent de
refuser ce crédit.

Marie-Thérèse Sangra