Intervention

Mesdames et
Messieurs, on sait aujourd’hui que la diversité écologique
renforce la stabilité, la vitalité et la résilience des forêts.
De la lecture du rapport préavis on retiendra que le massif
forestier du Jorat joue un rôle écologique de première importance
en tant que réservoir faunistique càd qu’elle offre les qualités
nécessaires du point de vue de la taille et de la diversité des
milieux pour que les communautés animales et végétales puissent y
vivre, s’y reproduire et s’y multiplier. C’est donc à partir
de ce réservoir faunistique essentiel pour la conservation des
espèces que les animaux et les plantes vont ensuite se disperser
pour aller coloniser d’autres sites en utilisant les ruisseaux et
les cordons forestier comme trames vertes et permettre les échanges
génétiques qui sont nécessaire à la survie des espèces à long
terme.

Dans le canton de
Vaud l’objectif d’améliorer l’intégration et la protection
des milieux naturels dans l’aménagement du territoire et en
particulier d’augmenter les surfaces réserves forestières n’est
pas une idée récente, mais a déjà été énoncé en 2004 par le
Conseil d’Etat dans son document la Nature Demain. Dans le plan
d’action biodiversité 2019-2030, le canton de Vaud se fixe pour
objectif 10% de réserves forestières et prévoit en plus d’ajouter
dans chaque région biogéographique une réserve forestière de plus
de 500 ha. Ces mêmes objectifs se retrouve dans les priorités de la
politique forestière du canton 2006-2015. Fin 2018 il n’y avait
que 3 % de la surface forestière vaudoise affectées en réserve.

C’est dire
d’une part que ces objectifs de remettre la nature au cœur de nos
milieux naturels n’est pas une lubie d’écolo en mal de verdure,
mais s’inscrit dans une tendance sociétale de plus en plus marquée
qui s’appuie sur des connaissances scientifiques pointues, et une
conscience écologique de plus en plus développée au sein de la
population qui recherche certes des zones de détente en plein air,
mais qui aussi prend conscience de la pression accrue qu’exerce
cette fréquentation sur les milieux et des espèces en régression
constante.

Les
manifestations des jeunes activistes pour le climat rappellent
l’importance de la conservation de cette biodiversité à chacune
de leurs apparition.

Choisir une zone
centrale, ce qui signifie renoncer à toute exploitation forestière
pendant 50 ans et en limiter l’accessibilité, c’est s’inscrire
dans une perspective temporelle qui se rapproche un peu de celle de
la biodiversité. Il est important de prendre conscience que le cycle
naturel de la vie d’une forêt se rapproche plus du demi-siècle
que des horizons temporels de l’économie humaine. Dans une forêt
exploitée, le cycle de vie de la forêt s’interrompt au mieux
après 80, voire 100 ans, alors que l’espérance de vie d’un
chêne ou d’un hêtre est de l’ordre de 500 ans. L’approche
économique de la forêt interrompt le « vie » d’une
forêt au stade de sa vie de jeune adulte, privant l’écosystème
de toutes les étapes ultérieures d’une forêt naturelle et en
particulier faisant renoncer à toutes les étapes du vieillissement
de la forêt. Les forêts que nous connaissons ne sont donc pas des
forêts équilibrées, mais des forêts dépourvues de vieux arbres,
d’ilots de sénescence, de bois mort ou d’arbres habitats, etc.
Toutes les espèces dépendantes de ces milieux absents de nos forêts
ont donc fortement régressé et se retrouvent sur les listes rouges
des espèces menacées de Suisse. On est obligé de rappeler que la
Suisse compte davantage d’espèces et de milieux naturels menacés
que la plupart des autres pays européens selon les études de l’OCDE
( Le Temps titrait à ce sujet la Suisse bonnet d’âne de la
biodiversité et des zones protégées).

Et je m’arrête
là dans cette liste des menaces sur la biodiversité pour ne pas
chagriner Monsieur Carrel par cette argumentation apocalyptique. Ce
qu’il faut bien comprendre dans ce bilan du passé en matière de
biodiversité, c’est que les espèces animales et végétales
meurent lorsque leurs espaces de vie disparaissent.

C’est à ce
constat que veut répondre le projet de parc du Jorat. Laisser la
zone centre évoluer au rythme de sa dynamique naturelle sans
intervention humaine c’est laisser réapparaître les milieux
typiques d’une forêt naturelle où pourront se développer les
communautés animales et végétales. On ne contestera pas que des
efforts importants ont été fait ces 20 dernières années et
l’abandon du concept de la forêt propre en ordre a déjà été
une grande victoire pour la nature. On laisse aujourd’hui un peu
plus de bois mort, mais les proportions actuelles sont encore
insuffisantes : Dans une forêt à l’état naturel il y a 100
à 150 m3/ de bois mort / ha, il en faudrait selon les étude
scientifique au moins 40 m3/bois mort / ha, alors qu’actuellement
on trouve à peu près 20 m3/bois / ha, voire seulement 15 m3 bois
mort / ha dans les endroits facilement accessibles à
l’exploitation. 25 % des coléoptères suisses ont besoin de bois
mort pour survivre.

Pourquoi faire
plus ? je pense avoir déjà expliqué le fonctionnement naturel
d’une forêt, mais j’aimerais répondre à la remarque de
l’auteur du rapport de minorité qui invoque la forêt saine et
productive. De quelle bonne santé parlez-vous ? si vous
parlez de la bonne santé d’un écosystème naturel alors non, ce
que vous prônez ne correspond pas à la bonne santé de la forêt.
Si vous parler de la bonne santé d’une plantation de bois cad du
porte-monnaie des propriétaires forestiers qui exploitaient à
l’époque leur forêt, alors oui on peut parler d’une bonne santé
économique. Vous évoquez aussi la loi forestière de 1902, une
époque où il n’y avait simplement plus de forêt en Suisse.
Depuis lors les choses ont évolué et une nouvelle loi sur les
forêts de 1991 a placé sur pied d’égalité les quatre fonctions
prêtées à la forêt : la production, la protection, la
biodiversité et le délassement. Dans
une forêt naturelle avec des arbres de tous âges et surtout des
essences adaptées à la station, les parasites ne prennent pas le
dessus. La forêt fait face, se régénère et est résiliente. Il
n’y a pas de problème de bostriche dans une forêt naturelle.

Ce sont donc deux conceptions qui s’affrontent : celle de la
forêt comme écosystème et celle de la production de matière
première. Toutefois tout ne s’oppose pas et ne s’exclut pas. Les
Verts sont favorables à l’utilisation du bois comme matériau de
construction ou de chauffage, mais dans des proportions raisonnables
sans que cela se fasse au détriment de la biodiversité, une
nouvelle valeur dont on commence à percevoir l’immense importance
pour les sociétés humaines.

Vous dites
encore qu’aucune étude sérieuse ne peut prouver qu’il y aura de
meilleures conditions pour la biodiversité dans la zone centrale.
Vous avez en partie raison, parce qu’actuellement on ne trouve
pratiquement plus aucune forêt naturelle en Suisse avec comme
corolaire que la faune et la flore se sont tellement appauvries qu’il
faudra attendre beaucoup de temps jusqu’à ce qu’elles puissent
se rétablir et que les espèces rares qui ont disparu puissent
revenir, encore faudra-t-il qu’il y en ait encore quelque part et
qu’elles trouvent des voies pour revenir.
En
ce qui concerne votre appréciation sur le Parc national aux
Grisons, je vous fournis volontiers un listing non exhaustif des
études naturalistes qui démontreront sans difficulté les succès
enregistrés en matière de présence d’espèces rares.

Quant au stockage
du CO2, là aussi votre argumentation est incomplète. Certes un
arbre jeune en croissance capte beaucoup de CO2, mais un vieil arbre
au feuillage bien plus dense capte davantage de CO2 et stocke dans
son tronc et dans ses branches bien davantage de CO2 qu’un jeune
arbre. Cela plaide aussi pour la conservation des grands arbres âgés.

Alors 10 % de
réserves forestières dans nos forêts cela semble raisonnable.
Aujourd’hui dans le canton de Vaud nous ne sommes qu’à 3 % de
réserves forestière. La commune de Lausanne donne l’exemple et
nous pouvons en être fier.

D’expérience
on sait que toutes les opérations favorisant la renaturation des
milieux naturels suscitent toujours beaucoup de débats et
d’inquiétude au début mais qu’au fil du temps et des résultats
ces démarches sont plébiscitées par la population heureuse de
retrouver des milieux riches en biodiversité. Pas de doutes que les
communes qui nous ont momentanément abandonnées nous rejoindront
prochainement sur demande de leur population.

Marie-Thérèse Sangra