Marie-Therese Sangra

CAD à l’ouest et au sud : Préavis no 2023/6

Intervention

Le CAD a le but de remplacer les énergies fossiles (mazout gaz naturel) du chauffage et de l’eau chaude des bâtiments. Un objectif indispensable pour répondre à l’urgence climatique. Chaque 1/10 e degré de réchauffement de la température au-delà du  + 1.5% qui est quasiment déjà atteint (en Suisse nous sommes déjà + 2.2) aura des conséquences aggravantes pour la planète et coûteuses pour la société.

La transition énergétique, si elle se veut écologique (écologique – je précise la signification de ce terme écologique signifie conserver une planète habitable pour les générations à venir, et déjà pour la prochaine génération, mes enfants, vos enfants-) signifie qu’il faut la réaliser en veillant à ne pas dépasser les 9 limites planétaires, dont en particulier la protection de la biodiversité à côté de la lutte contre le changement climatique. Chaque jour, 150 espèces animales et végétales s’éteignent définitivement dans le monde.

La crise du climat et celle de la biodiversité représentent les plus grandes menaces induites par l’homme pour l’habitabilité de la planète.

Pourquoi je fais cette introduction par rapport au CAD, c’est pour attirer l’attention sur la question de la ressource. Par quoi allons-nous remplacer le gaz et le mazout ?  Si l’on revient au préavis sur le développement du CAD à l’Ouest et au Sud, on voit à la page 9 l’évolution du mix énergétique global selon la planification des Sil.

Pour remplacer le gaz naturel du CAD lausannois, le futur mix énergétique lausannois prévoit dès 2023 le recours aux pompes à chaleur au biogaz, au bois, et à la géothermie qui en 2035 se déclineront (ordre de grandeur) 170 GWH produit par les PAC bleu clair, 170 GWH de biogaz jaune, 100 GWh de bois vert (fourni par ECUCAD d’Epalinges et Romande E et qui circulera dans le CAD) et 30 GWH  de géothermie bleu foncé si on en trouve.

Les énergies renouvelables sont indispensables à la transition énergétique, et elles doivent être développées dans ce sens ; elles peuvent servir cette finalité, mais à la condition qu’on en consomme en petite quantité et avec un bilan véritablement neutre en terme d’émissions de gaz à effet de serre.

Dans le cas du CAD lausannois, on constate que l’essentiel de la chaleur en hiver se fera (outre les déchets de Tridel) avec les PAC (centrales de Vidy et d’Ouchy). Or les pompes à chaleur pour fonctionner nécessitent beaucoup d’électricité (avec un rendement de 1 à 3 pas terrible). Concrètement, la décarbonation du chauffage des bâtiments lausannois va créer une augmentation de la consommation électrique sur le territoire lausannois de 14% (9.5% + 3.5%). Cela me semble énorme ! Cette demande en électricité se fait en hiver à un moment où la demande en électricité est la plus élevée,  où la Suisse est déjà importatrice nette et où toute l’Europe est en demande d’électricité. C’est donc de l’électricité extrêmement précieuse, mais c’est aussi en hiver une électricité « très polluante » que nous consommons. Pour rappel, l’électricité suisse produit 40 g équivalent CO2 / kWh, et le mix européen produit 108 gr éq CO2/  KWh et à certaines périodes de grande demande sans grande production d’éolien et de PV, cela peut monter jusqu’à 600g équivalent de CO2 par KWh. Comme vous avez pu le lire dans la presse, la Suisse veut développer sa production indigène d’électricité en augmentant encore sa production hydraulique. Or le potentiel de l’énergie hydraulique est réduit et l’exploitation hydroélectrique représente une atteinte grave au fonctionnement écologique et à la biodiversité des rivières. En Suisse, les cours d’eau sont en mauvais état avec plus de 65% des poissons et écrevisses indigènes ont disparu de Suisse ou sont fortement menacés.  A cela s’ajoute que  la volonté d’augmenter la production hydraulique s’accompagne  de la menace d’un démantèlement de la législation sur la protection des eaux et la protection de la nature et du paysage. Diminution des débits résiduels ou construction de nouvelles centrales hydrauliques dans les zones protégées.  Les deux nouvelles centrales de production de chaleur de Vidy et Ouchy consommeront à elles seules toute la production du nouveau barrage MBR que les SIL vont construire avec les FMV.

Un raisonnement semblable peut se faire avec le recours au gaz renouvelable ou biogaz qui est appelé à jouer un rôle important pour les appoints hivernaux dans le chauffage à distance (p.5) lorsqu’il fait très froid. On sait déjà que la Suisse ne produira pas tout le biogaz dont elle aura besoin. Elle doit et devra l’importer de l’étranger pour autant qu’elle en trouve et pour autant que le biogaz importé ne soit pas remplacé dans le pays vendeur par du gaz fossile, cce qui rendrait nul l’équation.   Il est prévu d’en produire à partir des déchets organiques de la Step, du compost et des engrais de ferme, mais en Suisse on sait déjà que la production de biogaz restera modeste. On sait aussi que la gazéification des engrais de ferme leur fait perdre une grande partie de leur valeur d’engrais agricole alors que ces engrais sont nécessaires à l’agriculture pour produire. Les attentes vis-à-vis de l’hydrogène vert restent hasardeuses et il faut rappeler que la production d’hydrogène est très consommatrice d’électricité. Que fera-t-on si l’approvisionnement en bio gaz n’est pas suffisant ?

Enfin la question du bois (fournis par ECUCAD et la centrale d’Epalines mais qui alimentera aussi le CAD) pose la question de sa disponibilité : d’où va-t-il venir ? y en a-t-il assez dans le canton de Vaud pour les besoins vaudois ? faudra-t-il le faire venir de Pologne ? est-ce que la consommation du CAD lausannois va capter l’essentiel de la production vaudoise de bois de chauffe au détriment des autres localités du cantons ? qu’en est-il des autres usages du bois ( construction p.ex ?)  et enfin sous l’angle de la biodiversité l’augmentation de l’exploitation du bois va-t-elle se faire au détriment de la fonction écologique du vieux bois et du bois mort dans les forêts indispensables pour la faune et la flore forestière.

Le réseau CAD Ouest Sud mise sur un rythme d’assainissement des bâtiments de 1.5 %/an et  une diminution des besoins de 1’500 à 1000 GWh, ce qui représente une diminution faible en valeur absolue, de seulement 30% de la fourniture d’énergie en chauffage, alors que le plan climat annonçait l’objectif de réduire les besoins en chaleur avec un rythme d’assainissement des bâtiments de 3.3%/an d’ici 2050. Les prémisses sur lesquelles repose le CAD sont donc en deçà du rythme et de la qualité des assainissements énergétiques prévus par le plan climat. Et en réalité, l’assainissement énergétique des bâtiments a pris du retard à Lausanne. Nous en sommes toujours avec un taux d’assainissement de 1%/ an, y compris pour les bâtiments de la Ville sans parler de l’essentiel des immeubles en main privée sur lesquels nous avons peu de possibilité pour les assainir .

D’un point de vue, le préavis CAD SUD Ouest devrait s’inscrire dans la vision de diminuer la consommation de ressources suffisamment pour pouvoir s’approvisionner  sur des ressources locales en s’assurant de la disponibilité durable et respectueuse de ces dernières pour tous les consommateurs du canton: il faudrait changer de paradigme : au lieu de viser de décarboner en remplaçant le fossile par de l’énergie  renouvelable,  un simple transferts du fossile vers les renouvelables et qui correspond à  de ressources renouvelables en plus qui  ne sont pas disponibles dans les volumes attendus, il faut viser la diminution plus forte des besoins, investir de manière bien plus conséquente dans l’isolation et l’assainissement des bâtiments pour n’avoir plus que de petits besoins de chauffage qui seront alors plus facilement couvrables par les énergies renouvelables et y compris davantage décentralisés. La température de l’eau du CAD (85°) est trop élevée pour les besoins de chauffage des bâtiments, il faudrait l’abaisser pour diminuer les pertes de distribution, l’énergie nécessaire pour cette haute température et améliorer l’efficacité des pompes à chaleur. Il pourrait être intéressant de découpler le chauffage de l’eau chaude sanitaire du CAD et y répondre différemment par le solaire thermique p.ex. Il n’y a pas assez de ressources renouvelables en Suisse pour couvrir les besoins du parc bâti sans une réduction massive des besoins. Les énergies renouvelables ne sont pas illimitées ni neutre pour la nature. Une transition énergétique qui met à sec la biodiversité n’est ni durable, si souhaitable.

Dans une interview du quotidien vaudois  24 Heures (1er avril), la présidente du PLR Vaud, Mme Bettschart-Narbel, déclarait que la priorité de son parti est de <<réduire les émissions de CO2 plus que de défendre la biodiversité>>.

Dommage d’opposer l’un à l’autre ! Le déclin de la biodiversité et la crise climatique sont liés et sont d’égale importance. Jamais les pressions sur nos ressources naturelles et nos écosystèmes n’ont été aussi forte qu’aujourd’hui. A côté de l’urbanisation galopante et d’une agriculture intensive, la transition énergétique pourrait rajouter sa charge sur la nature. Tout cela est fort paradoxal, car la biodiversité constitue la base même de notre existence. Comme l’eau potable, comme l’air, comme le sol. Il nous faut faire le pari d’assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique, la protection du climat et de la biodiversité ensemble.

Pour tous ces motifs et étant toutefois bien consciente de la complexité du dossier et que la ville de Lausanne ne dispose pas de toutes les clefs entre ses mains, je m’abstiendrai sur ce préavis.