
Conditions de détention et prévention du suicide à l’hôtel de police
Interpellation
Une récente vidéo publiée par Ragekit a révélé deux informations particulièrement préoccupantes concernant la détention préventive et les conditions de détention à Lausanne. Ces informations proviennent de rapports internes.
- Rien qu’en 2023, 82 tentatives de suicide ont eu lieu dans les seules cellules du poste de police de Saint-Martin (hôtel de police)[i]
- le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) aurait un taux de refus extrêmement bas – compris entre 0 et 1% – des demandes de mise en détention préventive formulées par le Ministère public.
Ces chiffres interrogent profondément. Le nombre très élevé de tentatives de suicide à l’intérieur d’un seul poste de police est la preuve de conditions de détention indignes, contraires aux droits humains, mais aussi un manque de prévention et d’accompagnement psychologique. Quant au rôle du tribunal des mesures de contrainte, il pose la question de l’indépendance et l’objectivité du contrôle judiciaire sur la privation de liberté de personnes (présumées) innocentes.
Ce Conseil communal s’est déjà saisi de la question, notamment dans une interpellation de 2019 (Dana et consorts), dénonçant les conditions de détention à l’Hôtel de police, qualifiées alors de « prisons de la honte ».
À l’époque déjà, il était relevé que les durées d’incarcération excédaient parfois largement la limite légale de 48 heures, et que les conditions de base (lumière naturelle, hygiène, promenades, accès aux avocat-e-s et proches) ne correspondaient pas aux standards attendus dans un État de droit. La Municipalité avait alors promis certaines améliorations de la situation. Les révélations mentionnées dans la présente interpellation nous font douter du contraire.
Face aux nouvelles révélations, il est légitime de s’interroger sur la réalité de ces améliorations et sur la connaissance qu’en avait la Municipalité.
Dès lors, nous posons les questions suivantes à la Municipalité :
- De façon générale, comment la Municipalité analyse-t-elle les conditions de détention actuelles à Saint-Martin (hygiène, accès à la lumière, durée des séjours, suivi médical, surveillance) respectent les droits fondamentaux et la dignité humaine ?
- La municipalité s’est elle assurée que les conditions de détentions provisoires des hommes, des femmes et de toute autre minorité de genre soient conformes aux prescriptions notamment du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ?[ii]
- La Municipalité considère-t-elle que la pratique actuelle (détention prolongée dans des cellules de police municipales) est compatible avec la CEDH et avec la jurisprudence du Tribunal fédéral ?
- La Municipalité avait-elle connaissance du nombre de tentatives de suicide extrêmement élevé relevées en 2023 au poste de police de Saint-Martin ? Si oui, quand en a-t-elle été informée ?
- Quelles mesures ont été prises par la Police municipale et par la Municipalité pour prévenir ces drames, assurer un suivi médical et psychologique, et garantir la sécurité des personnes détenues ?
- Quelle est aujourd’hui la durée moyenne de détention dans les cellules de Saint-Martin ? Existe-t-il encore des cas où des personnes y restent plusieurs jours ou semaines ? Si oui, combien ?
- Lors de cette législature, combien de personnes ont été détenues dans les cellules de Saint-Martin au-delà de la limite légale de 48 heures ? Quelle était la durée maximale observée ?
- La Municipalité considère-t-elle acceptable que ses infrastructures soient utilisées pour pallier la surpopulation carcérale cantonale, alors qu’elles ne sont pas conçues pour cela ?
- La Municipalité a-t-elle demandé au Canton de mettre fin à cette pratique ? Quelles démarches ont été entreprises en ce sens ?
- Sur quelle base juridique et sur quel accord précis repose l’utilisation prolongée des cellules lausannoises par le Canton ?
- Quelles compensations financières, logistiques ou humaines la Ville de Lausanne reçoit-elle pour la mise à disposition de ces cellules, et ces compensations couvrent-elles réellement les coûts induits (sécurité, personnel, santé, risques) ?
- La Municipalité a-t-elle connaissance de cas de condamnations ou d’indemnisations liées à des conditions de détention illicites dans ses locaux?
- Quelles mesures sont prévues pour garantir que des personnes vulnérables (personnes atteintes dans leur santé, personnes toxicodépendantes, personnes en souffrance psychique) ne soient pas enfermées pendant plusieurs jours dans des conditions inadaptées?
- La Municipalité estime-t-elle que les effectifs et la formation des agents en charge de la surveillance sont suffisants et adaptés pour prévenir les suicides et garantir des conditions humaines de détention ?
- La Municipalité pourrait-elle publier régulièrement des statistiques détaillées sur :
– la durée moyenne et maximale des séjours,
– le nombre de personnes concernées,
– les incidents graves (suicides, hospitalisations),
– la répartition entre détentions de moins de 48h et celles qui excèdent ce délai ?
Ilias Panchard
Naomi Alexandra Matewa, Romane Benvenuti, Prisca Morand, Eric Bettens, Olivier Thorens, Nathalie Caruel
[i] https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/gc/fichiers_pdf/2022-2027/24_PAR_16_RC.pdf (P.25)
[ii] https://www.humanrights.ch/fr/nouvelles/visite-comite-europeen-prevention-de-torture-suisse-na-mis-oeuvre-recommandations-de-juin-2022
