Ce 3 mars aura lieu la première votation fédérale de l’année 2024, sous le signe des retraites.
 
Régulièrement, le peuple suisse est amené à se prononcer sur des sujets liés à la retraite, notamment ces dernières années avec le projet Prévoyance Vieillesse 2020 – réforme couplée des 1er et 2ème piliers que la population a rejetée – et avec l’acceptation en 2022 du projet AVS21 – impliquant une augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Ces sujets reviennent de manière cyclique, tantôt pour renflouer les caisses, tantôt pour diminuer les prestations, mais parfois également pour les améliorer.
 
Ce dimanche, nous votons sur deux objets aux visions totalement opposées, l’un demande l’augmentation des rentes de l’AVS – par le biais du versement d’une 13ème rente mensuelle – et l’autre propose de relever encore une fois l’âge de la retraite. Si, sur le fond, ces deux initiatives prétendent servir le même but de garantie d’une retraite sure et digne, l’une propose une solution concrète et immédiate, l’autre rate totalement le coche. Tentons d’y voir plus clair…

Initiative pour une 13ème rente – Mieux vivre à la retraite

Le premier objet sur lequel nous votons concerne une augmentation des rentes de l’AVS, le 1er pilier de notre système de retraite. Le système des trois piliers (1er pilier – assurance-vieillesse, survivants et invalidité, 2ème pilier – prévoyance professionnelle et 3ème pilier – prévoyance individuelle) a pour but de combler la perte de revenu liée à la fin de la période de vie «active». L’AVS est censée, selon la Constitution fédérale, permettre de couvrir les besoins vitaux de la personne retraitée de manière appropriée. Chacune et chacun d’entre nous cotisons, en fonction de nos revenus pour cette assurance. L’AVS est le pilier le plus social de notre système, car les rentes sont plafonnées en fonction du revenu, mais les cotisations ne le sont pas. Cela signifie que les salaires élevés participent majoritairement au financement des rentes.
 
Aujourd’hui la rente mensuelle maximale de l’AVS s’élève à CHF 2’450 (CHF 3’675 pour un couple). Pour pouvoir prétendre à cette rente, il faut avoir cotisé durant 44 années avec un salaire moyen de CHF 88’200. Or, en 2020, 70% des retraité·e·s ne touchaient pas la rente maximale (rente mensuelle moyenne de CHF 1’700). Nous sommes donc en droit de nous demander si, avec ces montants, l’AVS répond réellement à son objectif constitutionnel de combler les besoins vitaux. La dernière statiques de l’OFS indique que près de 15% des personnes de plus de 65 ans se trouve en dessous du seuil de pauvreté.
 
Le constat des milieux syndicaux, des associations d’aide aux personnes âgées, et des personnes concernées elles-mêmes est clair : l’AVS uniquement ne permet pas de vivre dignement à la retraite. Or près de 20% des hommes et 30% des femmes ne touchent pas de prestations du 2ème pilier. Ces personnes, notamment les personnes seules et les femmes, ont beaucoup plus de risque de se retrouver en situation de pauvreté. Pour répondre à ce problème grandissant, l’initiative demande purement et simplement une augmentation des rentes du 1er pilier – sous forme de versement d’une 13ème rente – et cela profiterait directement aux personnes concernées par la pauvreté et par l’augmentation du coût de la vie. Les prestations complémentaires ne permettent plus aujourd’hui de combler la perte de pouvoir d’achat et il est donc plus nécessaire que jamais d’augmenter les rentes et ainsi ajouter de l’argent, en franc, dans le porte-monnaie des retraité·e·s.
Le fait que l’augmentation de rente toucherait également des retraité·e·s qui n’en auraient pas besoin est l’argument le plus fréquent des opposants à l’initiative. Or dans le système actuel le 1er pilier est le seul qui a une réelle visée sociale, le seul qui permet une redistribution des richesses. Oui, une personne aisée verra également sa rente augmenter, mais elle aura financé en plus de la sienne la rente de 10, 30, voire 100 autres assuré·e·s.
 
Enfin, privilégier un pilier plutôt qu’un autre est un choix politique. Lorsque l’on renforce le 3ème pilier, on favorise l’épargne individuelle et les avantages fiscaux d’une partie privilégiée de la population. Par contre, lorsque l’on vote sur une initiative qui a pour but d’augmenter les rentes de l’AVS, alors on donne un signal fort dans la direction d’un système de retraite plus social et égalitaire, où les revenus perçus durant la vie active sont – au moins en partie – redistribués entre toutes et tous les bénéficiaires.

Initiative des Jeunes PLR – pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne

Le deuxième objet de cette votation demande que l’âge de la retraite soit relevé à 66 ans pour toutes et tous d’ici 2030, puis, que cet âge soit lié à l’espérance de vie. Cela signifie que si l’espérance de vie de la population suisse continue d’augmenter, alors l’âge de la retraite augmentera également. Cet automatisme est rigide et dangereux, principalement car l’espérance de vie n’est qu’un chiffre statistique. En effet, celui-ci correspond à une durée de vie moyenne. Or une moyenne ne prend pas en compte les différences d’espérance de vie selon le secteur d’activité ou le degré de formation. Des études ont démontré que les personnes qui ont fait des études supérieures et travaillent dans le secteur tertiaire vivront plus longtemps. Ce sont aussi ces personnes qui ont les plus hauts revenus et donc peuvent se permettre une retraite anticipée. Augmenter l’âge de départ à la retraite est donc injuste et préjudiciable en particulier pour les personnes les plus enclines à être touchées par la pauvreté mais également par de potentiels soucis de santé. D’ailleurs, l’espérance de vie ne tient pas compte du nombre d’années de vie en bonne santé.
 
Lors de ce vote encore, nous avons le pouvoir de décider quel visage nous souhaitons donner à notre prévoyance vieillesse: voulons-nous un système rigide, socialement inadéquat, qui ne prend pas en compte les parcours de vie et ne protège pas les plus précarisé·e·s d’entre nous? Ou, au contraire, nous confirmons de manière claire que la prévoyance vieillesse doit rester un système d’assurance sociale, égalitaire et qui permette de vivre dignement cette dernière étape de vie.
 
La période de la retraite, c’est notre présent ou notre avenir, nous y sommes ou nous y arriverons toutes et tous un jour. C’est en ce sens un sujet éminemment important et, qui plus est, très émotionnel. La qualité des prestations offertes à la retraite transcrit également l’importance que la société met dans cette époque de la vie. Une économie qui chérit le travail et le profit est-elle prête à financer de manière sociale et collective, pour ses ainé·e·s (pour son propre avenir), une période de repos durant laquelle revenu n’est plus synonyme de travail ?
 
Prouvons que la société que nous visons n’est pas celle prônée par le capitalisme, qui nous fait travailler toute notre vie pour enrichir l’économie et tenter de financer notre propre retraite individuelle, mais que nous souhaitons un système communautaire, de partage intergénérationnel, où chacune et chacun est remercié·e pour sa contribution qu’elle quelle soit et a le droit de se reposer dignement une fois arrivée (pas trop tard) à la retraite.
 
Pour cela, votons et faisons voter autour de nous un grand OUI à une 13ème rente AVS et un NON à une augmentation supplémentaire de l’âge de la retraite.