Le 15 mai prochain, nous voterons sur la révision de la Loi sur le cinéma, adoptée par le Parlement en octobre 2021, mais attaquée en référendum par une alliance des jeunes partis bourgeois. Quels sont les enjeux de cette loi, et pourquoi devrions-nous nous mobiliser pour la défendre ?

L’objectif de la loi est de faire entrer les plateformes de streaming dans l’écosystème européen de l’audiovisuel. Peu de gens le savent, mais l’audiovisuel en Europe, y compris la grande tradition du cinéma français par exemple, ou plus récemment les séries comme 10 pourcent ou Le Bureau des Légendes, ne pourraient tout simplement pas exister sans argent public. Depuis des décennies, les Etats européens ont compris que le cinéma est une richesse culturelle formidable, un art populaire, vecteur de valeurs, et une industrie qui a le potentiel de générer une plus-value considérable pour l’économie au niveau régional, et pour le tourisme. Mais dans le contexte européen très fragmenté, avec des marchés culturellement et linguistiquement très variés et souvent petits, si l’audiovisuel n’était pas financé publiquement, le seul cinéma rentable serait un cinéma très commercial, réservé aux plus grands bassins de population. Alors, depuis des décennies, on a élaboré un cadre législatif et un système qui injectent des fonds publics dans la création cinématographique et provoquent une circularité des fonds entre les recettes de diffusion des films et séries et leur production. Ainsi par exemple en France, le Centre National pour le Cinéma (CNC) est en grande partie financé grâce à une taxe sur les entrées au cinéma. Les télévisions sont également astreintes à des obligations d’investissement et de quotas de diffusion de films européens. Doublé d’un bon système de redistribution des droits d’auteur, le cercle vertueux de l’audiovisuel européen a porté des fruits qui profitent à l’ensemble de la société.

Depuis une dizaine d’années, de nouveaux acteurs prennent une place prépondérante dans le marché audiovisuel. Les plateformes de streaming ont conquis des millions d’abonné·e·s, au détriment du marché de location DVD qui s’est entièrement effondré. La progression fulgurante des plateformes a également contribué à l’érosion considérable de la fréquentation des salles de cinéma. Le Covid-19 n’a fait qu’accélérer le mouvement qui était déjà en cours. Les plateformes se sont récemment mises à produire des films et des séries en Europe aussi. Ce faisant, elles perturbent violemment le cercle vertueux qui prévalait auparavant. Et pour cause, elles échappent à toutes les lois qui encadraient l’audiovisuel jusqu’à présent. L’Europe a réagi en adoptant une directive en 2018 qui demande à tous les pays de l’Union de mettre en œuvre des lois qui étendent les règles en vigueur pour les télévisions à l’ensemble des entreprises qui diffusent des films et séries. La plupart des territoires qui nous entourent l’ont déjà fait, avec des taux d’obligation d’investissement qui varient entre 5 et 26 % selon les pays.

En Suisse, le Conseil fédéral a proposé une loi dans ce sens en 2020, étendant le taux de 4% déjà en vigueur pour les télévisions, à l’ensemble des diffuseurs de films et séries. Après un intense travail de lobbying de la part de la branche, le Parlement a saisi les enjeux et adopté la loi en octobre dernier.

Il est capital pour la Suisse de s’adapter et de suivre les règles en vigueur en Europe. Plus de la moitié des films et séries produites en Suisse romande sont des coproductions avec nos voisins. Si notre cadre légal ne s’adapte pas, les sociétés de production suisses seront pénalisées sur le marché européen de la coproduction, puisque leurs partenaires français, belges ou italiens auront accès à des financements des plateformes, ce qui va renforcer considérablement leur capacité de financement. La conséquence sera de diminuer les retombées économiques de la production audiovisuelle en Suisse. Moins de jours de tournage ici, ce sont autant de nuitées d’hôtel, de transports, de restauration, de prestation de services informatiques, financiers, et j’en passe, qui échapperont désormais à notre économie locale pour être dépensés dans les pays voisins.

Si cette loi est si bénéfique et évidente, pourquoi est-elle attaquée ? Contrairement à ce que l’on peut croire sans connaître le dossier dans le détail, les plateformes telles que Netflix, Amazon Prime, ou Apple TV ne sont pas nos adversaires. Elles ont compris que ces règles d’investissement sont la clé de leur accès au public lucratif européen, et que c’est un win-win évident pour elles de produire avec les sociétés de production locales. C’est ainsi que les séries Casa de Papel, Lupin, The Crown, ou Dark ont vu le jour. Non, celles et ceux qui s’opposent à cette loi, ce sont les télévisions privées et les groupes de médias privés zurichois.

Depuis de nombreuses années, les magnats des médias privés zurichois ont une dent contre l’audiovisuel public qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale. Qu’importe si leur modèle d’affaires ne serait absolument pas viable ailleurs qu’à Zürich, ils sont déterminés à nuire à leur ennemi numéro 1 : la télévision publique. C’est de ces cercles qu’est venue l’initiative No Billag qui menaçait de supprimer totalement la redevance radio-TV. Ce sont les mêmes aujourd’hui qui prévoient une nouvelle initiative pour réduire la redevance de moitié. Pour ces idéologues ultra-libéraux, l’idée d’une régulation publique de l’audiovisuel est une hérésie. Totalement aveugles aux conséquences catastrophiques qu’aurait une libéralisation du marché audiovisuel sur la diversité médiatique et culturelle, ils s’y attaquent sans relâche. Les jeunes libéraux-radicaux sont leur bras armé et s’opposer à la révision de la Loi sur le cinéma était donc une évidence.

N’hésitant pas à user d’argument mensongers et fallacieux, leur message alarmiste sur l’augmentation des prix des abonnements risque de faire mouche, même s’il est démontrablement faux. Derrière ce référendum, c’est une attaque contre les valeurs fondamentales qui sous-tendent notre diversité culturelle. C’est pourquoi j’encourage les Vert·e·s à s’engager fortement dans cette campagne pour que résonne un grand OUI à la Loi sur le cinéma le 15 mai !

Stéphane Morey, secrétaire général Cinéforom