La feuille verte n°43 – janvier 2019 

Le chiffre lui-même de l’année qui s’ouvre pourrait être le cadre d’un roman de science fiction écrit il y a encore peu. Voitures volantes et conquêtes spatiales seraient le quotidien des humains dans la plupart des versions « optimistes », lutte acharnée post-apocalyptique pour la moindre ressource dans les versions pessimistes. La réalité est comme toujours un mélange des deux extrêmes, et cette année 2019 constitue un tournant, pour choisir un avenir et une vision du monde alternative, qui s’écarte de ces deux scénarios soit technicistes soit madmaxiens.
Malgré les avertissements de longue date des milieux scientifiques quant aux effets indésirables du rejet de gaz à effet de serre en volumes massifs dans l’atmosphère, le thème et les enjeux du climat semblent seulement dernièrement réellement occuper le débat public. Plusieurs facteurs ont retardé ce débat, soit la technicité du problème, sa portée temporelle (bien trop de problèmes perçus comme plus urgents), le coût des investissements nécessaires et finalement des agendas politiques « parasites » qui brouillent les priorités.
La technicité du problème limitait la prise de conscience à une frange trop faible de la population et des politiques, malgré de nombreux efforts de vulgarisation et de rapports complets accompagnés de résumés condensés à destination des personnes dirigeantes. La conscience du problème est désormais bien plus large, ancrée dans la population civile, et illustrée par de nombreuses associations et mouvements comme les grands-parents pour le climat, l’alliance climatique suisse, le mouvement de désinvestissement fossile, etc.
La portée temporelle trop lointaine a longtemps servi de prétexte (voulu ou inconscient) pour ne pas agir. Pourquoi en effet prendre des décisions parfois difficiles, pour ne jamais en voir les fruits, ni politiques, ni purement à titre personnel (peu d’entre vous qui lirez ces lignes seront encore vivants en 2100). Lutter contre le dérèglement climatique a toujours eu ce côté altruiste et transgénérationnel, et donc a reposé sur des valeurs profondes longues à acquérir. Or, nous sommes dans le futur, nous vivons en 2019 des événements et des valeurs de réchauffement qui avaient été prédits de longue date. Le futur lointain est désormais là, sous les cotillons du nouvel an. Nous agissons donc pour maintenant autant que pour 2100.
Beaucoup de choses ont changé également dans le coté économique de la chose. Alors que l’on devait débourser de lourdes sommes pour de maigres kWh électriques solaires, pour lutter contre des énergies fossiles lourdement subventionnées et auxquelles on ne taxait aucune externalité, les choses changent globalement vers le mieux. Le coût réel des énergies et productions sales (en terme de climat mais aussi de santé) est répercuté de manière plus honnête, ou du moins commence à l’être. Face à cette concurrence enfin justement affaiblie, les énergies propres baissent de prix de 10 à 20% par année. Un investissement peut donc se faire désormais même sans conviction écologique, par pur réalisme économique.
Finalement, les agendas parasites à court terme autour de l’immigration, de valeurs identitaires soit-disant patriotiques, ou faisant le lit de l’égoïsme économique ont montré leurs limites. S’attaquant uniquement aux symptômes de crises bien plus larges et profondes (inégalités sociales, internationales, concurrence élevée en valeur centrale, pression sur les ressources, etc), elles ne profitent qu’à certains courants politiques pour gagner des sièges, et surtout ne rien changer, pour le bénéfice d’une petite minorité.
C’est là que 2019 voit toutes ces conditions se réunir pour passer enfin un seuil psychologique, humain, économique et politique en matière de climat. Nous renouvellerons en effet notre parlement fédéral cet automne. Idéalement, toutes les personnes qui siègeront sous la coupole pour 4 ans seront membres de ce mouvement général pour prendre en main nos responsabilités et notre destin. A nous toutes et tous, militant·e·s, élu·e·s, parents, retraité·e·s, écoliers et écolières, membre d’associations amies et partenaires des luttes environnementales, de faire connaître nos exigences fermes en la matière, par la voix, par les réseaux sociaux, dans la rue, et finalement dans l’urne. Les prochains mois seront déterminants pour verdir au maximum ce parlement et faire entrer réellement la Suisse dans le XXIème siècle (avec 18 ans de retard), sans voitures volantes, mais avec à la place une solidarité large, envers les êtres humains actuels et futurs.
Benjamin Rudaz