Interpellation

Lausanne se densifie à grande vitesse, selon un PGA qui ne correspond plus aux enjeux d’aujourd’hui. Ceci met en péril le patrimoine naturel de la ville (arbres, pleine terre, réseaux écologiques). Quelle stratégie poursuit ou envisage la Municipalité pour préserver ce patrimoine en attendant l’entrée en vigueur du nouveau PACom ?

Le Plan général d’affectation (PGA) en vigueur ne correspond plus aux orientations straté­giques et aux enjeux du développement urbain d’aujourd’hui, tel que définis par le Plan Directeur Communal revisé en cours (PDCom), le Plan Climat, le concept directeur nature en ville et la stratégie pour le patrimoine arboré et forestier. Or, le nouveau Plan d’affectation communal (PACom) qui doit succéder au PGA a pris du retard. Compte tenu de la durée des procédures (examen des services cantonaux, enquête publique, oppositions, rapport-préavis, approbation par le Conseil communal, approbation cantonale et recours éventuels), bien des années peuvent encore passer avant sa mise en vigueur.

En attendant, Lausanne poursuit à grande vitesse sa densification de faible qualité. Toutes les semaines, des demandes de permis de construction sont mise à l’enquête qui exploitent au maximum les droits à bâtir, y compris dans des sites sensibles, en bordure de forêt ou de cours d’eau, dans des territoires d’intérêt biologique supérieur (TIBS) du réseau écologique canto­nal (REC-VD) ou sur des liaisons biologiques ou zones stratégiques du réseau écologique communal (REC-LS).

Beaucoup de projets impliquent l’abattage d’arbres et de haies sans compensation équivalente : L’art. 59 RPGA exige une nouvelle plantation seulement si le quota des arbres selon l’art. 53 RPGA n’est plus rempli (un arbre par 500 m2 de surface). La plantation d’un jeune arbre ne peut de toute manière pas compenser la disparition d’un grand arbre centenaire, dont la surface foliaire est de plusieurs km2.

Avec chaque construction, de la pleine terre disparaît. Ce phénomène est aggravé par les garages souterraines qui dépassant les limites de construction, grâce à une dérogation basée sur l’art. 81 RPGA. Par conséquent, il ne reste plus d’espace racinaire autour des nouveaux bâtiments pour permettre le développement d’arbres de grande taille. Les arbres plantés sur dalle restent petits et ne sont pas durables. Pourtant, nous avons besoin de grands arbres pour nous adapter aux changements climatiques et pour lutter contre le phénomène des îlots de chaleurs.

En résumé, une partie importante du patrimoine naturel lausannois pourrait être détruite avant que le nouveau PACom n’entre en vigueur et assure sa protection, comme le prévoit la plani­fication directrice communale et l’art. 25 de la Loi cantonale de protection du patrimoine naturel et paysager (LPrPnp) qui vient d’être mise en consultation. Il faut donc réfléchir à une stratégie pour le préserver dans l’intervalle.

Il serait possible d’accélérer la planification pour les éléments essentiels du réseau écologique cantonal et communal, en les affectant en zone de protection par le biais d’un plan d’affectation partiel. Ce serait aussi l’occasion de déterminer enfin les espaces réservés aux eaux (si possible élargis), selon l’art. 36a LEaux et l’art. 41a al. 1 à 3 OEaux (le délai pour le faire est échu le 31 décembre 2018 !). Sinon, il faut réagir à chaque fois qu’un projet met en péril un élément du REC, en le mettant en zone réservée dans l’attente du nouveau PACom.

Une révision des dispositions du PGA sur la protection du patrimoine arboré (art. 53 à 60 RPGA) pourrait aussi être entreprise avant l’adoption du PACom. Ces dispositions s’appli­quent à tout le territoire urbain, indépendamment du régime des zones. Il n’y a donc pas de raison impérative de coordonner cette réforme avec le PACom. Cette révision partielle pour­rait également englober la protection de la pleine terre et la compensation écologique sur les parcelles privées (art. 18b al. 2 LPN).

Sinon, la Municipalité peut adopter une pratique plus restrictive pour les permis d’abattage sur la base du droit actuel (art. 6 al. 3 LPNMS et art. 15 RLPNMS), en tenant compte, dans la pesée des intérêts, de l’intérêt public au maintien des grands arbres pour toute la durée de leur vie dans le contexte du réchauffement climatique et la crise de la biodiversité.

Une autre piste consiste à refuser les dérogations, notamment pour les constructions souter­raines selon l’art. 81 RPGA. Au minimum, il faudrait les assortir de charges et de conditions pour réduire et compenser l’atteinte au patrimoine naturel, par exemple réserver des « puits de plantation » dans la structure du parking, aménager de petits biotopes, intégrer des nichoirs dans les toits et façades et/ou réaliser d’autres aménagements en faveur de la biodiversité et du climat. Chaque demande de dérogation ouvre un espace de négociation pour la Munici­palité qui doit être utilisé pour améliorer les projets en faveur de la biodiversité et du climat (également, par exemple, en cas de dérogation de la limite de la forêt selon l’art. 27 LVLFO).

Il va de soi que chaque projet de construction doit respecter le droit fédéral, notamment les dispositions sur la protection des biotopes (art. 18 et 18b al. 1 LPN, art. 14 OPN) et les espaces réservés aux eaux provisoires (selon les dispositions transitoires OEaux). Comme le montre l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_126 du 15 février 2021 (cons. 6.2.3), une parcelle avec de nombreux haies vives, de grands arbres et une prairie extensive peut constituer un biotope d’importance régionale et locale au sens de l’art. 18b LPN. En l’espèce, le Tribunal fédéral a reconnu l’intérêt public de densifier le bâti au centre de Lausanne, mais a estimé qu’il fallait chercher une solution de compromis au lieu de poursuivre une politique du « tout ou rien » : l’intérêt de la propriétaire à construire sur son bien-fond devait être protégé, mais il incombait à celui-ci de développer un projet à l’emprise au sol réduite tenant mieux compte du biotope qui s’y trouve. Enfin, toute atteinte à un biotope digne de protection entraîne des mesures de reconstitution ou, à défaut, de remplacement adéquat (art. 18 al. 1ter LPN).

Enfin, il serait souhaitable que la ville acquière des terrains stratégiques pour la sauvegarde ou la reconstitution des réseaux écologiques et la renaturalisation des cours d’eau et se dote d’une politique et d’un budget en la matière.

Nous posons les questions suivantes à la Municipalité :

1) La Municipalité partage-t-elle la crainte que des éléments importants du patrimoine naturel lausannois (arbres, pleine terre, réseaux écologiques) risquent de disparaître en attendant l’entrée en vigueur du nouveau PACom?

2) La Municipalité a-t-elle une stratégie pour préserver ce patrimoine en attendant l’entrée en vigueur du PACom, notamment :

a) La Municipalité envisage-t-elle un plan d’affectation partiel ou une zone réservée pour protéger les éléments essentiels des réseaux écologiques cantonaux et communaux (y compris les espaces réservés aux eaux) situés actuellement en zone constructible? Sinon, quels autres moyens voyez-vous pour les préserver?

b) La Municipalité envisage-t-elle une révision partielle urgente du RPGA pour améliorer la protection du patrimoine arboré, la pleine terre et la compensation écologique?

c) Que fait la Municipalité pour préserver la pleine terre ? Notamment
– La Municipalité a-t-elle refusé des dérogations basées sur l’art. 81 RPGA ?
– en cas de dérogation, la Municipalité demande-t-elle de réserver des « puits de plantation » ?
– La Municipalité exige-t-elle d’autres compensations en faveur de la nature ?

d) La Municipalité utilise-t-elle d’autres demandes de dérogation (par ex. selon l’art. 27 LVLFO) pour demander des mesures de compensation en faveur de la nature ?

e) Quelle est la politique de la Municipalité en matière de demandes d’abattage liées à un projet de construction ? La Municipalité demande-t-elle l’examen d’alternatives ? Comment tenir compte de l’intérêt accru à la protection des arbres dans le contexte du rechauffement climatique et de la crise de la biodiversité ?

e) Les espaces réservés aux eaux selon les dispositions transitoires de l’OEaux (modification du 4 mai 2011) sont-ils respectés ?

f) Comment la Municipalité s’assure-t-elle qu’un projet de construction ne touche pas à un biotope digne de protection? L’arrêt du TF 1C_126 du 15 février 2021 a-t-il influencé la pratique de la ville dans le sens d’un abandon de la politique du « tout ou rien » quand les intérêts à la protection des biotopes et à la densification s’opposent? Quelles mesures de remplacement sont exigés en cas d’atteinte à un biotope ?

g) la Municipalité envisage-t-elle une politique/un budget pour acquérir des terrains ayant un grand potentiel écologique, par exemple pour la reconstitution de couloirs écologiques ou la renaturation de cours d’eau ?