POSTULAT

Le plan lumière de la commune de Lausanne de 2011 est axé sur « une amélioration de l’éclairage public des rues, la mise en exergue de la spécificité lausannoise, la trame verte, l’eau, le relief et le patrimoine ». Issu du schéma directeur d’aménagement lumière, ce plan lumière « première génération » a empoigné la question de l’éclairage public en portant une attention particulière à une gestion économe de l’énergie consommée et une illumination scénographique de la ville.

Personne ne conteste la nécessité d’un éclairage publique pendant la nuit. Cependant notre rapport à la lumière évolue au fil du temps.  Ainsi le « trop d’éclairage nocturne (ou pollution lumineuse) » est devenu une préoccupation tant du point de vue de la santé publique que de la protection de la biodiversité. Les habitant-e-s revendiquent désormais des nuits sans pollution lumineuse ou de pouvoir observer un ciel étoilé pendant la nuit. De nouvelles connaissances scientifiques montrent l’impact néfaste du halo lumineux nocturne sur la faune et la flore.

Différentes interventions ou pétitions (Guex, Bron) récemment déposées au Conseil Communal ou au Grand Conseil (postulat Alexandre Rydlo et consorts) dénotent cette prise de conscience croissante sur les nuisances lumineuses et nous interpellent sur les questions d’alternance entre lumière du jour/ obscurité la nuit ou sur la nécessité d’assurer une visibilité suffisante dans des lieux stratégiques (passage piétons).  En ce qui concerne la faune, un jugement du Tribunal cantonal (CDAP) a confirmé en janvier 2021 l’obligation pour la commune de Payerne d’éteindre deux lampadaires pour protéger une colonie de chauve-souris. 

Le recours aux LED pour l’alimentation de l’éclairage artificiel a permis d’importantes économies d’énergie, mais paradoxalement a favorisé un fort développement de l’éclairage public dans la ville créant une forme de pollution nouvelle, inédite dans le monde du vivant, parce qu’elle rompt le rythme circadien naturel (cycle biologique d’une durée de 24 heures qui alterne le jour et la nuit). Cette pollution lumineuse peut générer chez l’être humain des dérèglements sanitaires, physiologiques, comportementaux ou psychique (trouble du sommeil, risque augmenté de certains cancers, etc.). Par ailleurs, des études montrent que la lumière nocturne serait un perturbateur endocrinien avec des effets délétères pour la santé[1].

L’éclairage artificiel exerce une pression sur la santé humaine qui a été longtemps sous-estimée et qui est encore souvent insuffisamment prise en compte aujourd’hui.

De même, les conséquences de l’éclairage nocturne pour les écosystèmes et la biodiversité peuvent être désastreuses. De nombreuses études ont mis en évidence que l’éclairage conventionnel par LED induit un remodelage des espèces qui conduit à un appauvrissement général de la biodiversité locale. La pollution lumineuse « écologique » modifie le comportement des espèces dans l’écosystème. Les oiseaux migrateurs qui volent la nuit s’orientent selon la position de la lune ou les champs magnétiques. Par temps couvert, la nuit, des bâtiments fortement éclairés attirent ces oiseaux qui viennent s’écraser contre leurs façades. Les insectes attirés par la lumière nocturne s’épuisent en tournant autour des lampadaires et deviennent des proies faciles pour leurs prédateurs. Une estimation évalue à plus de 10 millions le nombre d’insectes tués en Suisse lors d’une seule nuit estivale. Les halos lumineux constituent aussi des obstacles à la mobilité de la faune nocturne (rappelons que 95% de nos mammifères sont nocturnes). Une bonne partie des espèces de chauves-souris par exemple sont lucifuges et la présence de lumière représentent pour elles un obstacle infranchissable. Leurs espaces de vie et leurs terrains de chasse s’en trouvent réduits et les populations finissent par décliner. La conservation de corridors biologiques obscurs (trame noire) est indispensable pour permettre à la faune nocturne de se déplacer et de relier les zones d’ombre du territoire.

L’évolution de ces éclairages semble particulièrement défavorable dans le cas 

  • des zones commerciales, industrielles et agricoles, y compris les parkings et les installations sportives en raison d’une augmentation significatives de l’éclairage extérieur.
  • de l’éclairage et la mise en valeur architecturale et/ou paysagère (particulièrement s’il y a un fort développement des points lumineux autour des zones naturelles (rivières, bords du lac, forêt, arbres, jardins, sites naturels)
  • des enseignes et affiches lumineuses en forte progression.

Selon l’Office fédéral de l’environnement, la prévention de la pollution lumineuse de l’éclairage nocturne doit prendre en compte les paramètres suivants :

Nécessité : il n’est pas nécessaire d’éclairer tout le territoire, ni toutes les routes.

Gestion dans le temps : l’éclairage peut être réduit ou totalement éteint aux heures de faible utilisation (entre minuit et 6h00). Des systèmes dotés de détecteurs de mouvements allument la lumière uniquement en cas de besoin.

Intensité et clarté : Adapter l’intensive et la clarté de manière appropriée. Eviter tout surdimensionnement. Diminuer de 80 % l’intensité d’éclairage après minuit ; éteindre les enseignes lumineuses après minuit.

Spectre lumineux et couleur de la lumière. Renoncer aux LED émettant des lumières blanches ou bleues très attractives pour les insectes ou choisir les lampes à vapeur de sodium (couleur orange)

Choix et positionnement des luminaires : La lumière doit tomber uniformément sur la rue sans éclairer les jardins privés et les façades;  selon les situations, installer des mâts éclairant précisément au sol avec une hauteur maximale de 4 à 6 m. Renoncer à installer des lumières le long des cours d’eau, au bord du lac, aux abords des forêts ou le long des lisières; conserver des vastes surfaces exemptes de lumières

Orientation de l’éclairage : Diriger la lumière de manière à éclairer uniquement les surfaces  souhaitées ; éviter les luminaires sphériques ou à émissions vers le haut.

Enfin il apparaît que l’échelon communal (la ville et ses quartiers) soit le niveau le plus adapté pour prendre en compte ces problématiques et réduire les impacts de l’éclairage nocturne. Les enjeux liés à la préservation de la biodiversité nécessitent l’identification des zones naturelles critiques et leur mise sous protection à l’écart de toute pollution lumineuse. Il importe aussi de différencier entre l’éclairage public et l’éclairage privé et de veiller à limiter plus strictement le deuxième (p.ex. pas d’éclairage privé permanent entre 22h et 6h).

Une gestion bien conçue et efficace de l’éclairage nocturne permet de répondre aux besoins de sécurité et de visibilité dans l’espace public tout en réduisant les émissions lumineuses superflues nocives pour la santé humaine et la biodiversité. Une telle approche est en même temps source d’économies d’énergie et de réductions de coûts pour les communes.

Afin de mieux faire comprendre et accepter les mesures de réduction de l’éclairage auprès du grand public, les effets positifs de la nuit noire pourraient être valorisés. Par exemple en annonçant les évènements célestes remarquables et en indiquant les endroits depuis lesquels ils pourraient être observés. 

Ce postulat demande à la Municipalité de faire un état des lieux et d’étudier l’opportunité de repenser l’éclairage nocturne sur le territoire communal en réduisant au maximum la pollution lumineuse et la consommation énergétique et en veillant à garantir des couloirs sans lumière (en réseau) pour protéger la faune nocturne.

[1]https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5839924/pdf/nihms904658.pdf
Russart KLG, Nelson RJ (2018) Light at night as an environmental endocrine disruptor. Physiol Behav 190:82–89. doi: 10.1016/j.physbeh.2017.08.029