Madame la Syndique,
Mesdames les Municipales, Monsieur le Municipal,
Chères Rolloises, cher Rollois,
Mesdames et Messieurs,

En préambule, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à l’organisation de ces festivités, qui les animent et les enrichissent par leur présence, en particulier Jacques Tschudin, notre maître de cérémonie.

Célébrer une seule et unique fois par an la Suisse, est-ce suffisant ? Au Palais fédéral, cette question fait l’objet d’un – petit – feuilleton que je suis avec intérêt. Vous voyez, d’une part il y a le 1er août, cette célébration qui nous réunit aujourd’hui pour la commémoration de ce qu’on appelle communément le serment du Grütli, le pacte fédéral de 1291. Je ne vous apprends rien, j’imagine.

D’autre part, il y a le 12 septembre 1848, une date plus méconnue, non moins digne d’intérêt, car elle reste un symbole fort dans l’histoire de notre pays. Le 12 septembre 1848, c’était un mardi comme aujourd’hui, la Suisse se dote d’une Constitution, la pierre angulaire de notre Etat fédéral. Ce texte a jeté les bases de la Suisse moderne. C’était il y a 175 ans.

Le débat actuel à Berne se focalise sur une question : faut-il faire du 12 septembre un jour férié fédéral ? Des jours fériés fédéraux, il n’y a en pas beaucoup… juste un. Le 1er août. Il s’agit donc d’en instaurer un deuxième.

Cette proposition émane d’un conseiller national qui, par voie de motion, veut consacrer le 12 septembre comme un «Jour de la démocratie». Idée louable a priori. Mais… le Conseil fédéral, lui, n’est pas emballé.

Et pourtant, début mai, le Conseil national a accepté la motion. Dernier rebondissement en date, il y a moins d’un mois, une commission du Conseil des États a recommandé, elle, de voter non. Rien n’est encore joué mais vous l’avez compris : le projet divise.

Je me suis demandé : quelles pourraient être les raisons de refuser un jour de la démocratie ? Et puis je me suis souvenu qu’en Suisse, les débats tournaient souvent autour des sous. Je vous rassure : Rolle ne fait pas exception. Ça n’a pas manqué : les opposants mettent en avant le coût pour l’économie qu’aurait un tel férié. Un vénérable quotidien zurichois, la NZZ, est allée même jusqu’à le calculer : on parle d’une bagatelle de 600 millions de francs par an.

Si on réfléchit, l’argument argent tient. La Suisse, ce doit être le seul pays au monde qui rejette en votation populaire pour des questions de coût une semaine de vacances supplémentaire. «Ça vous dirait une semaine de congés de plus ?» »Ah non, surtout pas, on préfère bosser !» Certains vont rétorquer que c’est la valeur travail qui a fait notre succès. Peut-être ont-ils raison.

Le débat autour du 12 septembre a l’avantage de prouver au moins une chose : il n’est pas facile de faire l’unanimité, même autour d’un banal projet de commémoration.

Et à Rolle ? Qu’en est-il ? Parvient-on à une union sacrée pour le «bien commun» ? Prenons un thème qui m’est cher, le climat. L’urgence d’une action globale pour freiner le dérèglement climatique saute aux yeux. Cet été, nous assistons en Suisse, en Europe et au-delà à une succession d’événements inquiétants, voire dramatiques entre tempêtes, sécheresse, incendies, inondations et des températures ahurissantes, parfois au-dessus de 45 degrés, inédites dans certaines régions. La répétition, année après année, de conditions extrêmes, leur impact sur notre environnement appellent à une réponse coordonnée, à tous les échelons, surtout au niveau local.

A Rolle, le Conseil communal a donné son feu vert l’année dernière, sur proposition de la Municipalité, à l’élaboration d’un Plan Climat, dont on devrait connaître la teneur bientôt. Plus récemment, vous l’avez peut-être lu dans la presse, la commune a lancé un ambitieux projet de réseau thermique de chauffage à distance par le lac … il n’y en a pas beaucoup sur le Léman. Ce n’est pas encore fait, loin de là, puisque les inconnues sont nombreuses. Il reste énormément à faire pour concrétiser ce réseau, s’il venait un jour à être concrétisé.

Dans les discussions, la question du financement est revenue sur le tapis. Eh oui, c’est inévitable. Rappelons qu’on parle d’un projet très onéreux pour une commune comme Rolle. Ce qui m’a réjoui, au-delà des réserves sur certains aspects du projet, c’est cette conviction, partagée il me semble assez largement, quel que soit le parti politique, de la nécessité de faire un geste fort pour le climat. Eh oui, l’avenir de notre environnement, de nos écosystèmes, se joue également à Rolle.

Avec le thème du climat, le principe de solidarité figure aussi parmi les valeurs que je considère comme primordiales. Annoncé fin juin, un projet de centre de migrants à Rolle a soulevé des questions autour des efforts déployés pour prendre soin de ceux qui nous sont proches. En fait-on assez pour les personnes en difficulté ? Pour les séniors ? Pour les parents et leurs enfants ? Quid des places en crèche, en UAPE, des infrastructures en général ? Ces questions, elles sont légitimes.

Cependant, peut-on opposer la solidarité bénéficiant à l’un et celle accordée à l’autre ? Peut-on prioriser la solidarité, la hiérarchiser ? Des questions tout aussi légitimes.

J’ai rencontré début juillet, au Centre Evam de Morges-Marcelin, trois résidents, Imen, Elie et Faridullah – respectivement d’origines tunisienne, syrienne et afghane – qui m’ont raconté leur parcours difficile, qui ont évoqué la Suisse en termes élogieux et qui ont exprimé leur gratitude vis-à-vis de la solidarité des autorités et de la population.

Quoi qu’il en soit, il faut toujours compter sur la faculté des Suisses à se mettre autour d’une table et à discuter, à débattre. A trouver des solutions constructives. Pour un centre de réfugiés, pour un chauffage à distance… et même pour un jour férié.

Je vous parlais d’unanimité tout à l’heure, mais on n’en a pas besoin. Elle est bienvenue, mais pas nécessaire. Ce qu’il faut obtenir – et je sais que c’est un poncif – c’est un compromis. Oui, le fameux consensus suisse, cette tarte à la crème lorsqu’on parle de débat politique dans notre pays. Mais c’est peut-être ça aussi, le génie helvétique.

L’Etat fédéral instauré en 1848 a permis de conserver une cohésion entre territoires aux aspirations et intérêts différents, parfois divergents. Mais il a fallu aussi trouver des repères – des mythes fondateurs – pour faire l’unité, pour inscrire cette Suisse moderne dans un contexte historique qui fasse sens. Le 1er août, ce n’est rien d’autre.

La première commémoration remonte à 1891 – 43 ans après la création de l’État fédéral – pour marquer le 600e anniversaire du Serment du Grütli. Et il a fallu attendre un siècle de plus que le 1er août devienne un jour férié fédéral, après une votation populaire en 1993. Certains dans l’assistance s’en souviennent peut-être.

Qu’en est-il alors ? Faut-il inscrire le 12 septembre en lettres d’or dans le calendrier fédéral ? Je vous invite – si vous le souhaitez bien sûr – à perpétuer cette belle tradition suisse plus tard dans la soirée, à débattre sereinement de cette question, pourquoi pas autour d’un verre. Qui sait ? Vous arriverez peut-être à un compromis.

Il restera cette certitude : de jour férié fédéral, il n’y en a qu’un pour l’instant, donc autant en profiter.

Je vous souhaite, Mesdames et Messieurs, du fond du cœur, un très bon 1er août et une magnifique soirée.

Federico Rapini