Nous
vivons des jours décisifs. Face au Covid-19, dévastateur, et à ses conséquences dramatiques, saurons-nous prendre les
bonnes options, solidaires et durables ?

A la
crise sanitaire, fraternellement affrontée par toutes et tous mais qui menace
la terre entière et surtout ses habitants les plus démunis, s’ajouteront
l’effondrement économique et de graves tensions sociales. La détresse de
certaines catégories de la population et les inégalités croissantes nourriront
le découragement, le désespoir et la violence. Comment y ferons-nous face
collectivement ?

Une
chose est sûre : l’humanité forme un tout, interdépendant. Nous serons sauvés
ensemble ou nous ne le serons pas ! Mais arriverons-nous à rester solidaires en
toutes circonstances ? N’oublions pas les conséquences désastreuses des
politiques protectionnistes et nationalistes mises en place dans la suite de la
crise des années 30 ! Et les décisions autoritaires et liberticides justifiées
par les motifs sanitaires n’ouvriront-elles pas la porte à la tentation de
régimes forts ?

L’heure
est à l’urgence, et même au marathon, comme le dit le conseiller fédéral Alain
Berset. Mais nous préparons-nous à modifier notre manière de vivre ensemble et
à inventer des solutions qui tiennent compte du long terme ?

Il y a
heureusement, dans tout ce bouleversement, une bonne nouvelle : les mesures que
nous devrons prendre pour le bien de la planète (climat, biodiversité) seront
moins dramatiques que celles d’aujourd’hui, et les efforts qui nous seront
demandés moins grands que ceux que nous consentons actuellement !

Et une
autre : on le voit, les régimes démocratiques peuvent agir de manière très
résolue lorsqu’un état d’urgence est reconnu en tant que tel. Des choses
qui semblaient impensables il y a peu de temps sont désormais possibles. Il
faudra qu’il en aille de même vis-à-vis du climat.

Et une
troisième : en cas de crise majeure, de magnifiques solidarités (y compris
financières) se mettent en place, à tous les niveaux (individus, réseaux,
collectivités, pays). Rapidement. L’urgence climatique en exigera également.

Enfin
une quatrième : après la pression mise ces dernières années pour réduire les
coûts et le rôle de l’Etat, tout le monde redécouvre les vertus de l’action
publique et collective.

Une
crise ne prend pas de pause lorsqu’en survient une autre. Dans nos réponses aux
effets du coronavirus, nous devons garder en ligne de mire le réchauffement
climatique et la perte de la biodiversité (aussi invisibles et inimaginables
aux yeux de beaucoup que le Covid-19 l’était il y a encore quelques jours !).
Car si nous les négligeons, les conséquences en seront encore bien pire (si
cela peut s’imaginer !) que celles de la pandémie. Sans réduction drastique des
émissions de CO2, on le sait, une partie importante de l’humanité pourrait être
purement et simplement décimée d’ici la fin de ce
siècle ! Rien à voir avec les dizaines de milliers de morts –
et je ne minimise pas les drames actuels – dus au coronavirus … . A 2°C ou 3°C
de réchauffement climatique, nous aurons à faire face à des problèmes encore
10, 100 ou 1000 fois plus graves !

Certains
croient pouvoir se réjouir que le Covid-19 contribue à la diminution de la
pollution. C’est peut-être vrai dans l’immédiat, mais en l’absence de décisions
structurelles et de réorientation de nos sociétés, cela risque fort de n’être
que temporaire. C’est pourquoi les décisions prises ces jours seront d’une
importance cruciale du point de vue de la transition vers une société et une économie
respectueuses du climat et de la biodiversité.

Comme
la lutte contre la pandémie, la protection de notre environnement nécessite des
investissements énormes et un changement fort des modèles économiques. La
durabilité doit figurer au coeur de toutes les politiques. Or le risque est
grand que les collectivités financent les mesures de relance sans tenir compte
des objectifs climatiques et environnementaux. Il importe que le soutien
apporté aux entreprises du pays par les collectivités publiques soit conditionnée
à l’émergence d’une économie bas carbone, plus robuste face aux crises à venir.

Ainsi
par exemple, les compagnies aériennes, sévèrement affectées par la pandémie,
réclament l’aide des pouvoirs publics. C’est l’occasion pour l’Etat d’imposer
des contre-parties, de soumettre son soutien à des conditions drastiques, qui
dissuadent efficacement notre frénésie d’hypermobilité
aérienne et réduisent les considérables émissions de CO2 que cela provoque.
D’ailleurs, le télétravail qui se répand aujourd’hui à grande échelle (non sans
pollution) nous montrera peut-être qu’on n’a pas toujours besoin de prendre
l’avion … .

Cette
pandémie doit nous pousser à changer de modèle, à repartir sur des bases
différentes, plus solidaires, plus décentralisées, avec le respect de la
planète en ligne de mire plutôt que la recherche du profit à n’importe quel
prix.

Ainsi
peut-être l’avenir se révélera-t-il plein d’espoir. Peut-être ne prendrons-nous
plus l’avion à la première occasion (diminuant par là aussi bien la pollution
atmosphérique que les risques de propagation mondiale des virus),
préférerons-nous les produits locaux et les circuits courts (plus sûrs, surtout
pour les biens alimentaires) et diminuerons-nous notre consommation effrénée …
.

La
crise, aussi dure soit-elle, peut aussi être une chance. Le renouveau de Pâques
?

Philippe
Biéler

Ancien conseiller d’Etat (Vaud), Maracon